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rendait des services personnels aux locataires de ses dignes parens, et pouvait avoir trop d’expérience dans l’art de les retenir sous le toit paternel.

L’honnête homme trompé s’éloigne et ne dit mot.


Hazlitt s’éloigna, mais il écrivit un volume de deux cents pages auquel il donna le titre de liber amoris, ou le Nouveau Pygmalion. Il était en effet le Pygmalion d’une statue qu’il adorait et insultait tour à tour, mais qui resta toujours de marbre pour lui. Pourquoi refusa-t-elle de prêter l’oreille à des propositions qui l’honoraient au-delà peut-être de ce qu’elle pouvait espérer ? Avait-elle un engagement sérieux ? C’est un problème qui sans doute, s’il avait été désintéressé dans la question, aurait excité la curiosité de moraliste d’Hazlitt. Tout eût été pour le mieux, si cet échec était tombé sur un homme qui voulût admettre que le raisonnement peut quelque chose contre la passion. Combien d’autres ont prouvé comme lui que moraliste n’est pas synonyme de sage !

Une autre circonstance compliquait la situation de l’auteur du Liber amoris : il était marié, quoiqu’il vécût séparé de sa femme. Pour arriver à toucher le cœur de la belle Sarah, il demanda et obtint le divorce suivant la loi d’Ecosse, plus indulgente en cette matière que la loi anglaise. Personne ne s’y opposait, ni la femme d’Hazlitt, qui avait assez du mariage, le connaissant par une fâcheuse épreuve, ni les familles des deux époux, qui continuèrent à vivre dans le meilleur accord. Sur ce point, la correspondance d’Hazlitt est confirmée par le journal que sa femme, fidèle à une habitude anglaise, tenait fort exactement. Jamais ils ne s’étaient mieux entendus que depuis qu’ils plaidaient en séparation ; ils se rencontraient souvent, logeaient parfois presque porte à porte, prenaient dans l’occasion le thé ensemble, se donnaient les meilleurs conseils. Il arriva même à Mme Hazlitt de blâmer amicalement son époux d’avoir mis le public dans la confidence, et à M. Hazlitt de s’excuser comme il put en disant que la publication s’était faite sans qu’il le voulût, ce qui n’était vrai qu’en un sens : ce n’était point par un acte de volonté réfléchie qu’il avait mis sous presse le Liber amoris ; l’amour déçu, la vengeance peut-être, la passion certainement, en avaient donné le bon à tirer. Le critique de Quincey a prononcé sur ce livre le mot définitif : « Ce fut l’explosion d’un moment de folie. Il jeta au vent le cri de son angoisse, sans se demander qui l’entendrait, quelles sympathies ou quelles dérisions pouvaient l’accueillir. Il n’avait souci ni des marques de pitié ni des éclats de rire. Son unique besoin était d’exhaler ce qu’il avait dans le cœur. »

Hazlitt fut donc séparé de sa femme. Il mit sa liberté aux pieds de Sarah Walker, qui n’en agréa point l’hommage ; il épousa une