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l’autre il écrase un globe terrestre. Si la mission de Laponie réussit pleinement, celle de l’équateur subit au contraire une série de traverses funestes. Couplet en arrivant à Quito fut emporté par une fièvre maligne; Seniergues, le chirurgien de l’expédition, fut assassiné par la populace de Cuença. Godin fut pris d’autorité par le vice-roi du Pérou et installé à Lima dans une chaire de mathématiques qu’il n’eut pas la faculté de refuser. Joseph de Jussieu quitta lui-même l’expédition et se fixa au Pérou, d’où il ne revint que plus de trente ans après, infirme et entièrement privé de mémoire. Bouguer et La Condamine rapportèrent seuls en France les résultats de la mission, retardée par mille contre-temps ; Bouguer ne revint qu’en 1742, La Condamine en 1743, et, à peine réunis à Paris, ils donnèrent au public le fâcheux spectacle de leurs dissentimens et de leur rivalité.

Citons encore le voyage que La Caille fit en 1752 au cap de Bonne-Espérance pour étudier les étoiles de l’hémisphère austral. Peu de voyages furent aussi fructueux par l’abondance des matériaux rassemblés. Pendant qu’il rendait ainsi à l’astronomie des services signalés avec des ressources bien modestes, La Caille était sans cesse poursuivi de la crainte de coûter trop cher au gouvernement, qui faisait les frais de sa mission. « J’ai toujours, écrivait-il, ménagé la dépense depuis que je suis ici, et si je n’avais pas avec moi un ouvrier qui dépense plus que moi, quoique jamais mal à propos, je n’aurais pas dépensé cinquante piastres par-dessus ma pension. »

Un phénomène qui ne se renouvelle que deux fois par siècle avait été choisi par les astronomes pour vérifier la distance de la terre au soleil, calculée d’abord, comme nous l’avons dit, par Richer; ce phénomène était le passage de Vénus sur le disque du soleil; il devait avoir lieu le 6 juin 1761 et se renouveler en 1769. Un grand nombre d’observateurs se répandirent sur tous les points du globe pour en étudier les diverses circonstances. C’est ainsi que Pingre alla à l’île Maurice, Le Gentil à Pondichéry, l’abbé Chappe en Sibérie. Ce bon abbé Chappe, que l’impératrice Catherine accusait à cette occasion d’avoir tout vu en Russie « en courant la poste dans un traîneau bien fermé, » devait cependant périr, peu d’années après, victime de son dévouement à la science. Envoyé en Californie en 1769 pour observer le second passage de Vénus, il fut atteint, à son arrivée dans le pays, d’une maladie contagieuse qui enleva tous ses aides et ses compagnons. Affaibli lui-même, languissant, privé de tout secours dans un pays désert, il avait réussi cependant à échapper au danger; mais, le moment décisif de l’observation étant venu, il ne voulut pas laisser perdre une occasion qui ne devait plus se représenter de longtemps : il se traîna jusqu’à son observatoire volant, y épuisa ses dernières forces et mourut.