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sait des expériences originales sur la chaleur, et concourait pour un prix proposé par l’académie sur la nature et la propagation du feu. Jaloux enfin de faire ses preuves de géomètre, il prenait part à la grande controverse qui agitait les savans de l’époque au sujet de la mesure de la force, et combattait la théorie des « forces vives » dans un long mémoire qu’il envoyait à l’académie (1741). Ce ne furent là que des velléités passagères ; il abandonna bientôt la physique et la géométrie, et cessa de leur consacrer un temps qu’il trouvait à employer plus utilement pour sa gloire. Laissons donc la candidature hypothétique de Voltaire, et revenons vite aux véritables académiciens, pour recueillir dans la galerie de M. Bertrand quelques physionomies et quelques traits.

De toutes les sections de l’Académie des Sciences, celle de géométrie est sans contredît la plus riche en grands noms. Elle forme comme le cœur de l’illustre compagnie. Sans compter Huyghens, dont nous avons déjà rappelé les principaux ouvrages, sans compter Sauveur, dont les travaux sur le son inaugurent brillamment les grandes recherches de physique mathématique, sans compter Maupertuis, qui doit une bonne partie de sa célébrité à l’inimitié de Voltaire et à la Diatribe du docteur Akakîa, nous y trouvons, vers le milieu du XVIIIe siècle, deux hommes véritablement illustres, Clairaut et d’Alembert. Clairaut nous apparaît comme le type du géomètre pur ; c’est un de ces esprits qui ont la claire perception des hautes vérités mathématiques, et qui se trouvent assez à l’aise sur les sommets de la géométrie pour tracer sans effort des voies nouvelles. Fils d’un pauvre professeur de mathématiques qui élevait à grand’peine sa nombreuse famille, il fut nourri dès son enfance des plus fortes études. Ce fut une sorte d’enfant prodige, et contrairement à ce qui arrive d’ordinaire en pareil cas, il tint les promesses de ses premières années. À dix-huit ans, il entrait à l’Académie des Sciences avec une dispense d’âge. Une modique pension, rehaussée par sa gloire précoce, lui permit de se livrer tout entier à ses travaux ; il le fit tout en remplissant dans le monde ce rôle brillant que la société du XVIIIe siècle assurait à tous les esprits d’élite. Le Traité sur la figure de la terre, publié par Clairaut à la suite de son voyage en Laponie, demeure comme un des monument de l’histoire des sciences. Maupertuis, à peine revenu de l’expédition, s’était hâté d’en publier les résultats (1738) pour s’en attribuer le principal honneur. Clairaut ne se pressa point ; c’est en 1743 seulement qu’il donna au public le fruit de ses recherches et de ses méditations. « L’ouvrage de Clairaut, dit M. Bertrand, est peut-être, de tous les écrits mathématiques composés depuis deux siècles, celui qui, par la forme sévère et la profondeur ingénieuse des démonstrations, pourrait le mieux être comparé, égalé même, aux plus beaux cha-