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lons devenir Prussiens. Berlin nous trompe ; il entend faire de nous les instrumens de son insatiable ambition ; il nous déplaît d’être dupes. Et qu’est-ce que Berlin ? C’est le gouvernement militaire, c’est la bureaucratie, c’est l’impôt, toutes choses antipathiques au génie allemand. Ce que nous aimons, nous, c’est l’économie, c’est la liberté, c’est sentir nos coudes à l’aise. Un gouvernement libre, discret, facile dans ses allures, qui ne met personne à la gêne et coûte peu, voilà ce qui nous convient. Ajournons l’unité de l’Allemagne, et Dieu nous garde de travailler pour le roi de Prusse ! Qu’on ne nous reproche pas notre particularisme souabe ou bavarois ; — le grand obstacle à l’unité, c’est le particularisme prussien. Nous attendrons patiemment que les circonstances aient changé, que Berlin se soit amendé et nous offre des conditions compatibles avec notre indépendance et nos franchises. Qu’on ne nous reproche pas non plus de faire le jeu de l’étranger. Le gouvernement prussien n’est-il pas un étranger pour nous ? Provisoirement nous resterons ce que nous sommes. Si on essaie de nous prendre, nous crierons, et si l’Europe accourt, ce ne sera pas notre faute. »

D’autres au contraire dirent et disent encore : « Sans doute la situation n’est pas bonne. Nous aussi, nous avions rêvé autre chose ; mais il faut prendre le temps comme il vient et le vent comme il souffle. Nous voulons deux choses, l’unité et la liberté. Commençons par l’unité. Le déplaisir qu’en aura la France nous consolera du plaisir que nous ferons au roi de Prusse. Qu’on ne nous accuse pas d’être Prussiens et de faire bon marché de nos libertés ; nous ferons la conquête morale de la Prusse, nous la convertirons à l’Allemagne et au libéralisme. La transition sera dure, nous pâtirons ; un avenir prochain nous dédommagera de nos peines. L’essentiel est de commencer par prouver à l’étranger qu’une Allemagne unie est en état d’imposer au monde ses volontés. Que s’il nous représente que nous paierons notre grandeur par notre servitude, nous lui répondrons que les verges prussiennes sont après tout des verges allemandes, et que, s’il nous plaît d’être battus, ce sont nos affaires et non les siennes. »

Telle est la situation des partis allemands ; voilà ce que disent ceux qu’on appelle les nationaux, ceux qu’on appelle les particularistes. Ces derniers veulent l’unité comme les premiers ; mais ils l’ajournent, parce que la liberté leur est plus chère encore. Les premiers, à part quelques niais, redoutent la Prusse comme les seconds, et savent que, sous couleur de faire leurs affaires, elle ne s’occupe que de faire les siennes ; mais ils en prennent leur parti en réservant l’avenir : ils traverseront le désert, ils ont foi dans la terre promise. En attendant, cette querelle n’est pas près de finir. Comme