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Sur les hauteurs. Il faudrait se souvenir aussi de M. Paul Heyse, qui continue d’accroître soigneusement son trésor de nouvelles, petites merveilles de style et d’art à la manière florentine ; enfin une mention très honorable serait due à M. Maurice Hartmann, qui vient de publier un dramatique roman emprunté à l’histoire des derniers jours de Murat et un recueil de récits où l’intérêt du fond est relevé par une forme exquise. Nous avons dit pourquoi nous voulions nous restreindre. A titre de documens sur l’esprit public, les œuvres que nous venons d’interroger nous paraissent représenter assez bien cette génération de conteurs qui est aujourd’hui dans la maturité de l’âge et du talent. Certes ils n’ont pas dit leur dernier mot; M. Auerbach vient de mettre au jour un roman en cinq volumes, la Maison de campagne aux bords du Rhin, qui méritera un examen à part; M. Levin Schücking poursuit sa veine rajeunie; M. Gustave Freytag, détourné quelque temps de ses travaux d’imagination par des études historiques à la Monteil sur les mœurs allemandes aux différens âges, prépare, dit-on, une peinture nouvelle de l’Allemagne de nos jouis. Toutefois, à un certain point de vue, nous pouvons dire que nous les connaissons d’avance. Le groupe littéraire dont ils sont les chefs est animé d’un esprit sérieux, élevé, libéral; de quelque côté qu’ils viennent (car leurs origines sont fort diverses), on voit que dans ces intelligences mûries les vieilles passions sont apaisées. L’un d’eux a cité quelque part ces belles paroles de l’Antigone de Sophocle : « mon cœur est fait pour partager l’amour et non la haine. » Cette sympathie, ce συμφίλειν, est leur inspiration à tous.

Il y a une génération plus jeune, plus âpre, qui s’apaisera sans doute à son tour, mais qui a jeté dans ces derniers temps de singulières clameurs. S’il était question ici des publicistes, je nommerais M. Jean Scherr; le roman aussi, comme la littérature militante, a eu son boute-feu turbulent et agressif. C’est un esprit très complexe, cœur de poète et nature de tribun, démocrate et artiste, un de ces artistes que fascine la noblesse de race. Au milieu de ses plus violentes attaques contre l’aristocratie, on peut dire de lui comme de ce personnage de Molière : la qualité l’entête. Il sait écrire, il sait conter, il manie le sarcasme aussi bien qu’il éveille l’émotion; il a même, à l’égard des jacobins de son pays, une terrible impartialité de pinceau. On dirait par instans un écrivain qui cherche encore sa voie, et il vient de publier ses œuvres complètes. Il est vrai qu’il en a recommencé déjà une série nouvelle. Le moment est venu de regarder en face cette figure tumultueuse. Ouvrons donc en attendant les appendices, ouvrons et interrogeons les œuvres complètes de M. Frédéric Spielhagen.