plus rien espérer, je suis toujours soutenu en secret par l’espérance d’un bonheur possible, comme le phthisique espère sa guérison. Prenez pour exemple une société comme celle d’où nous sortons. Je sais combien sont vides les plaisirs de ces gens-là, je sais quelles figures piteuses, quelles misérables faces de pécheurs se cachent sous ces masques joyeux ; je sais que cette belle jeune fille sera dans dix ans d’ici une malheureuse femme ou une idiote, je sais que ce beau jeune homme, qui porte si haut la tête et qui semble tout prêt en vérité à faire en un seul jour les douze travaux d’Hercule, est un hobereau grossier qui revendique chez ses paysans le jus primæ noctis, et mène sa femme à coups de cravache. Je sais cela, j’en sais bien plus encore, j’en ai fait mille et mille fois l’expérience ; eh bien ! je suis si peu blasé que la fée Morgane me séduit toujours avec ses illusions décevantes ; je suis si peu guéri de mon ivresse que toute belle jeune fille épanouie en sa fleur me fait croire encore à l’amour, que toute noble et loyale figure de jeune homme me fait croire encore à l’amitié. M’auriez-vous cru capable d’une telle folie ?
« — Non, je n’aurais pas cru que vous puissiez avoir des idées, des sentimens comme ceux-là…
« — Et vous aviez parfaitement raison, reprit le baron, car je ne pense et ne sens de la sorte que les jours où je suis complètement ivre, comme en ce moment. »
Le baron d’Oldenbourg se vante lorsqu’il se range avec Oswald
parmi les amans de la fleur bleue ; la rêverie, maladive sans doute,
mais si pure de ce poétique somnambule appelé Novalis, n’a rien
de commun avec les prétentions des viveurs. Oldenbourg et Oswald
ne sont pas même des énervés comme le personnage dont M. Sainte-Beuve, en son roman de Volupté, a étudié trop curieusement les subtilités malsaines. Si énervé que soit Amaury dans le récit de l’écrivain français, il a du moins souci de son âme. Oswald n’obéit qu’à ses
passions, ou plutôt (car ce mot de passions aurait ici plus de force
qu’il ne convient) à ses impressions passagères, à ses caprices incohérens. Aimé de la comtesse Mélitta, un cœur d’élite, un trésor
de grâces, il l’abandonne sans motif bien qu’il l’aime toujours, et
s’éprend d’une jeune folle, Emilie de Breesen, dont il s’éloigne bientôt pour s’attacher à la noble Hélène de Grenwitz. Tout cela est raconté d’une plume alerte ; l’auteur a de la grâce et du feu ; il est
peintre, il est poète, il fait vivre ses figures, et cependant, au milieu de ces péripéties, on attend avec impatience une conclusion qui
n’arrive pas. M. Spielhagen va-t-il nous donner le secret de ces natures problématiques ? va-t-il interpréter la sentence de Goethe ? Pas
le moins du monde. Il trace dans Oswald un caractère brillant, lé-