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15,560,000 francs pour le trésor métropolitain. En 1860, la dépense montait à 159,898,201 francs (y compris 36 millions environ à payer pour les lots gagnans à la loterie), soit 123 millions net. On était entré dans la période des déficits; les recettes n’atteignaient plus le niveau des dépenses. Cela n’empêcha pas le gouvernement de fixer à 29 millions de francs le prélèvement au profit de la métropole. Nous ne possédons pas le compte exact des années récentes; nous entrevoyons seulement que les dépenses se sont élevées encore, que le déficit s’est élargi, et que le budget des Antilles a fourni plus de 30 millions de francs par année à celui de la métropole. Ce n’était que la subvention ostensible et avouée; mais accessoirement on glissait dans les comptes de la colonie et à sa charge des dépenses que la nation tout entière aurait dû supporter, par exemple les intérêts d’une dette contractée envers les États-Unis, les frais occasionnés par les établissemens de Fernando-Po et d’Annobon, et autres cotisations dont l’ensemble était évalué par les Cubains à une quinzaine de millions.

Nos lecteurs vont se demander comment on s’y est pris à Madrid pour prélever 30 millions par an sur un budget en déficit constant. Ce n’était pas difficile pour un gouvernement tel que celui de la reine Isabelle. Il existe à La Havane une banque espagnole, établissement privé fondé par actions et privilégié pour l’émission des billets au porteur. Le ministre des finances de Madrid, toujours aux expédiens, battait monnaie en faisant traite par anticipation sur la banque de Cuba pour la totalité de l’allocation que le gouvernement s’attribuait à lui-même. Ces bons coloniaux étaient escomptés à gros intérêt sur la place de Madrid à des banquiers qui les présentaient à échéance. La banque de Cuba n’osait pas faire affront à la signature royale, et se mettait ainsi à découvert de toutes les sommes que ne pouvait lui rembourser l’administration cubaine. Cette banque, dont le capital n’est que de 25 millions de francs, ne pouvait résister longtemps à un pareil régime : le remboursement de ses billets étant devenu une difficulté, le gouvernement de Madrid lui accorda le triste privilège du cours forcé, et continua de puiser dans ses caisses. Chaque traite payée à La Havane en espèces sonnantes devait être remplacée par une émission de billets : c’était une manière d’emprunt forcé qu’infligeait la métropole à sa colonie. En définitive, la banque de Cuba, établissement des plus solides jusqu’alors, s’est trouvée, avec son modeste capital de 25 millions, à découvert d’environ 80 millions de francs représentés par une assez mauvaise créance sur le trésor public de Madrid[1]. Une place de premier ordre comme est La Havane n’avait plus pour traiter ses

  1. Ce chiffre est celui du déficit présumé à l’origine des troubles. La situation s’est encore aggravée depuis cette époque. Un document américain qui porte la date de septembre 1869 accusait une circulation en papier à cours forcé de 150 millions de francs avec une réserve métallique de 15 millions.