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voir droit, comme par le passé, au grade immédiatement supérieur par le seul fait de leur envoi à Cuba, n’obtiendront pas plus d’avancement à l’avenir que pour les services ordinaires.

Il fallait une forte illusion pour croire que tant d’hommes d’épée et de tribune, habitués à faire et à défaire les gouvernemens, tous grandis et enrichis à ce jeu, se laisseraient évincer comme d’obscurs sergens sans même essayer de prendre une revanche. N’avaient-ils pas pour eux des moyens d’action puissans sur l’armée et une énorme clientèle dans le public? Moins de trois mois suffirent pour organiser le mouvement. On pourvut au budget de la conjuration par des sacrifices volontaires; les mécontens cubains s’y associèrent pour une large part, bien des lettres de change furent tirées sur La Havane. Y eut-il des engagemens pris, des promesses faites aux colons par ceux qui s’annonçaient comme des régénérateurs? Nous l’ignorons. On sait avec quelle rapidité la révolution triompha. La descendance de Ferdinand VII était condamnée; les conjurés de septembre n’eurent qu’à exécuter la sentence.

Les Cubains, dont la position n’était plus tenable, s’attendaient à une délivrance. Malheureusement la mère-patrie était si occupée de ses propres périls, les chefs du nouveau gouvernement avaient tant de charges sur les bras et si peu de ressources pour y pourvoir, qu’on ne peut guère leur reprocher d’avoir négligé les possessions d’outre-mer. Et puis, à vrai dire, ce qui pouvait soulager les Cubains, la refonte ou plutôt la suppression de toutes les lois de douane, la restitution des 80 millions de francs pris à la banque, le self-government colonial, ne sont pas de ces choses qui se peuvent improviser. Constatons aussi que le gouvernement provisoire avait à compter avec les préjugés et les intérêts de la métropole, où l’exploitation des colonies est passée à l’état d’instinct. Il fallait ménager les monopoles des Catalans, appelés à jouer un des principaux rôles dans la révolution. Les conjurés de septembre savaient aussi, mieux que tous autres, que le gouvernement déchu, en supprimant la double solde et l’avancement d’un grade pour le service aux Antilles, avait semé le mécontentement dans l’armée et dans la flotte, et que la marine, étrangère jusqu’alors aux pronunciamentos, avait au contraire pris une part décisive dans les événemens de septembre.

Le gouverneur de l’île était alors le général Lersundi, tempérament militaire très accentué, moins apte à pénétrer les questions qu’à les trancher par la force. A la première nouvelle du succès de la révolution, il se voit entouré de créoles pleins d’illusions et d’enthousiasme qui l’invitent à proclamer, au profit de la colonie, les principes régénérateurs qui viennent de triompher dans la métropole. Lersundi répond sans ménagement que rien ne sera changé