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dans le pays qu’il gouverne, au moins jusqu’à ce qu’il ait reçu des instructions de Madrid. On fait jouer le télégraphe. Le ministre de la marine pour le gouvernement provisoire, M. Lopez de Ayala, transmet bientôt une décision d’où il paraît résulter que l’attitude sévère prise par le général Lersundi est approuvée par les chefs de la révolution.

Il est probable que cette réponse fut mal formulée ou mal comprise. Peut-être que la régence de Madrid, n’ayant aucune solution à produire, essaya seulement de temporiser. A Cuba, le coup parut d’autant plus rude qu’on espérait tout autre chose. Qu’on se figure le dépit, les ressentimens amers des créoles, qui s’attendaient à des réformes radicales, à une délivrance, et à qui on a l’air de dire que la révolution n’a point été faite pour eux ! Depuis un an d’ailleurs, les élémens inflammables s’amoncelaient parmi la population. Une prétendue réforme fiscale, opérée dans le courant de 1867, avait supprimé des droits assez incommodes à la sortie des sucres et du tabac ; en revanche, les contributions directes étaient surchargées d’environ 10 pour 100. La combinaison avait été fort mal prise par les propriétaires. Cette cause de mécontentement, ajoutée à tant d’autres, avait soulevé peu à peu les esprits : ils étaient à ce point où il ne manque plus qu’un prétexte pour la révolte; le prétexte fut naturellement le déni de justice de la régence de Madrid. Un jeune avocat, élevé en Europe, instruit et éloquent, d’un caractère généralement estimé, bien que ses ennemis lui reprochent d’avoir un peu trop dépensé dans les plaisirs cet entrain et cette énergie qui font aujourd’hui sa force, don Manuel Cespedès, se trouvait le 10 octobre 1868 dans une plantation près de Jara avec une centaine de créoles propriétaires, réunis pour aviser. On tombait d’accord sur ce point, que la mesure était comblée, et qu’il n’y avait plus rien à espérer de la métropole. Cespedès ne craignît point de pousser le premier cri d’indépendance. Chacun s’arma comme il put. Une colonne qui grossissait en marchant glissa à travers la région centrale de l’île jusqu’à Bayamo. Cette ville importante du littoral, où commandait le neveu du gouverneur Lersundi, fut enlevée par surprise. Du premier coup, les insurgés se mettaient en communication avec l’extérieur.

Ces événemens se passaient à cent lieues de La Havane, dans la région de l’est, qui n’est point reliée par des routes praticables à la partie vivante de l’île, et où des troupes ne peuvent guère arriver que par mer. A la première nouvelle, les habitans créoles de La Havane, qui étaient sous le sabre espagnol, éprouvèrent plus d’inquiétude que d’espérance; ils blâmaient le mouvement ou se tenaient sur la réserve. Le général Lersundi, soit qu’il manquât de troupes disponibles ou de moyens de transport, soit qu’il se sentît un peu