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comme des plaies sur le dos des montagnes, ou comme des taches sur le vert manteau qui les recouvre. Les obstacles opposés par la nature au travail de l’homme ont toujours pour résultat de développer chez celui-ci l’énergie et l’activité. Quand le laboureur a dû, pour féconder la terre, l’arroser de ses sueurs, il n’a pas seulement assuré sa subsistance, il a en outre acquis sans s’en douter et comme par surcroît des qualités viriles qui l’empêcheront de demeurer longtemps esclave. L’agriculture exige plus de labeur dans les montagnes du royaume de Luang-Praban que dans les fertiles plaines du Laos inférieur : aussi la population, sans atteindre encore à la rudesse insolente que nous allons rencontrer bientôt chez les tributaires de la Birmanie, n’a-t-elle plus déjà la physionomie placide et les allures indolentes des habitants d’Ubône ou de Bassac.

Dans la capitale, il règne tous les matins, sur la place du marché, une remarquable animation. J’aimais à me promener au milieu de la foule compacte, à contempler les singuliers comestibles empilés sur les états, surtout à observer les marchands et les acheteurs. Des deux côtés de la rue, abrités dans des maisonnettes, accroupis sur des nattes ou sur de larges feuilles de bananiers, vendeurs et vendeuses attendent le client sans l’importuner, comme il arrive en Europe dans les marchés de province, par des invitations fatigantes. Les ménagères circulent paisiblement, point de cris, point de disputes; tout se passe gravement, presque en silence. On trouve là en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie, à la vie laotienne, bien entendu. Je n’ai pas à faire ici la nomenclature des denrées diverses qui tentent la curiosité des passans ou sollicitent leur appétit; j’omets à dessein les ragoûts tout préparés, les boissons savoureuses qui se consomment sur place, car il se dégage de tout cela une odeur telle que je ne saurais m’y arrêter. Les Birmans offrent au public des étoffes anglaises, cotonnades, indiennes, des tissus de laine, des boutons, des aiguilles; les habitans du royaume de Xieng-Maï apportent des boîtes en laque, des gargoulettes, des parasols; enfin les producteurs indigènes vendent du poisson, de la viande de buffle et de porc, — souvent morts de maladie, — du riz, du sel, de l’ortie de Chine, de la soie, du coton. Il existe en outre de véritables bureaux de tabac où l’on trouve des cigarettes et des pipes de différens modèles. Tout le monde fume, hommes, femmes et enfans. Ceux-ci sont encore à la mamelle qu’ils aspirent déjà par le tuyau d’une pipe des bouffées de fumée, se mêlant en quelque sorte dans leur bouche avec le lait maternel. Cependant il ne faut pas se tromper à ces apparences de vie commerciale, et le voyageur avide de les apercevoir doit se défier de ses premières impressions. Il ne se fait guère à Luang-Praban autre chose qu’un