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dait d’où pourrait venir cette influence salutaire, je rappellerais ce que j’ai dit ici même dans un précédent travail sur le Cambodge. Le rôle que, sous l’inspiration d’un gouverneur intelligent et prévoyant, la France remplit à l’extrémité de la vallée du Mékong n’est pas sans quelque analogie avec celui qui, vers le 20e degré de latitude nord, semble réservé dans cette même vallée aux successeurs de l’amiral de La Grandière. Dans le delta formé par le grand fleuve, nous nous sommes habilement interposés entre les Annamites et les Siamois, sous le couvert des Cambodgiens; ce sont les mêmes ennemis que nous trouvons en présence à la hauteur du Tonkin. Le royaume de Luang-Praban possède assurément une vitalité plus grande que celui du Cambodge; mais il n’en est pas moins excité et soutenu par les Siamois dans toutes ses entreprises contre l’empire d’Annam, ce vieil ennemi de la cour de Bangkok. Je sais bien que nous ne sommes pas établis au Tonkin comme nous le sommes en Basse-Cochinchine, je suis même fort loin d’être convaincu qu’il y ait pour nous un avantage réel à nous emparer immédiatement du gouvernement direct de ce pays; mais il faut que l’empereur Tu-Duc se résigne à y tolérer notre présence, à protéger les essais d’établissemens agricoles, industriels ou commerciaux, que pourraient y faire nos compatriotes. Quand la voix du gouverneur de la Cochinchine sera plus écoutée dans les conseils de Hué, elle ne tardera point à se faire entendre aussi à Luang-Praban. Si dans la zone occupée par les sauvages soumis à l’une des deux nations voisines il existe, ainsi que certains renseignemens tendraient à le faire supposer, quelques tribus indomptées, rebelles au vasselage et exaspérées par de hideux attentats, ces tribus, dont le malheur entretient la barbarie, ne seront jamais un obstacle insurmontable à la reprise des relations. Lorsqu’on cessera de traquer ces hommes comme des bêtes fauves et de les vendre sur les marchés, ils cesseront en même temps d’être cruels.

Le port de Bangkok peut être considéré aujourd’hui comme l’unique débouché du commerce de ces contrées. Ce commerce, nous l’avons vu, est encore dans l’enfance, il végète dans la lourde atmosphère politique qui l’enveloppe; mais il grandirait sous un régime nouveau qui lui assurerait la liberté et la sécurité, ces deux conditions partout essentielles au développement de la richesse publique. La ville de Luang-Praban est à peine séparée par 70 lieues des rivages du golfe du Tonkin, c’est donc de ce côté plutôt que vers la capitale du royaume de Siam, beaucoup plus éloignée d’eux, que les rudes travailleurs de ces montagnes semblent conviés par la nature à écouler leurs produits et à recevoir ceux que pourrait leur envoyer un jour l’Europe industrielle. Nous ne saurions tarder d’ai-