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victimes du 2 décembre. L’un a été condamné pour la journée du 15 mai 1848, d’autres pour la journée du 13 juin 1849, tous pour des attaques contre la souveraineté nationale, contre la république elle-même. C’est justement ces dates qu’on veut réhabiliter tout aussi bien que les journées de juin, dont on revendique aujourd’hui hautement l’honneur, et qu’il n’est plus même permis d’attribuer à des menées bonapartistes, comme on le faisait naguère. C’est en un mot une représaille de toutes les défaites révolutionnaires, et en vérité, si Robespierre n’avait pas succombé au 9 thermidor, s’il eût été seulement exilé et s’il vivait encore, rien n’empêcherait qu’on ne le présentât aux électeurs parisiens comme une protestation contre le 2 décembre.

Vue de près, cette agitation radicale, dans ses inspirations, dans ses procédés, sue la dictature. Le manifeste de M. Ledru-Rollin lui-même, qu’est-ce autre chose qu’un programme de gouvernement dictatorial ? Que signifient ces comités qui délibèrent en secret, qui imposent des candidats, ces réunions où les plus simples contestations sont étouffées, ces discours où l’on proclame la république sans se demander si elle sera ratiliée par l’opinion uninerselle, ces plans de réorganisation sociale par voie d’autorité sommaire ? C’est la dictature sous toutes les formes. La liberté, qu’on invoque, n’est qu’un mot de passe pour aller à un but qu’on ne dissimule même plus, et ce n’est pas seulement le dédain de la liberté qui est dans tout cela ; il y a au fond un grand mépris du peuple qu’on met toujours en scène, mépris profond, si on joue la comédie avec cette population des clubs qui est invariablement la même, plus profond encore, si en croyant s’adresser au vrai peuple on lui parle ce langage. Au lieu de l’élever à l’intelligence de son rôle et de sa situation, on l’avilit par l’adulation, on le flatte dans ses passions et dans ses plus dangereux instincts. On se fait les « chambellans du peuple, » selon le mot d’un journal démocratique qui sûrement n’a jamais dit plus vrai que ce jour-là. Au lieu de lui montrer les progrès sérieux, pratiques, auxquels tout le monde doit concourir franchement, énergiquement, on fait luire à ses j’eux des promesses qu’il ne dépend de personne de réaliser. Au lieu de lui dire la vérité virilement, on lui parle comme à un despote qui peut se passer ses fantaisies et donner des mots d’ordre.

On irrite ses convoitises pour s’en faire une arme, on se sert de lui et on ne le sert pas ; on le grise d’une souveraineté qu’on se promet d’exercer pour lui, on le provoque à des violences dont il sera le premier à souffrir. Entre les murs enfumés d’un club de Paris, on lui persuade qu’il donne l’impulsion à la province, disposée à marcher avec lui, qu’il fait l’admiration du monde, prêt à suivre son exemple en proclamant la république universelle. La province, il est bien certain qu’elle commence à se lasser de ces spectacles bizarres, qu’elle ressent plus de défiance que d’enthousiasme, et que, si elle veut être libre, elle n’est nullement disposée à voir la liberté dans toutes les révolutions qu’on