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lui promet ; mais là où l’illusion est grande à coup sûr, c’est lorsqu’on se figure qu’une explosion à Paris provoquerait des mouvemeps semblables dans tous les pays. C’était possible en 1848, à une époque où l’ancien régime était encore debout en Europe, où les instincts de progrès et de nationalité étaient partout comprimés. Aujourd’hui tout est changé : la Prusse est sur le chemin des grandeurs ; l’Italie, malgré ses embarras, a l’indépendance et les institutions les plus larges ; l’Autriche elle-même est entrée dans une voie libérale. Ce ne serait pas la république universelle, comme on le disait l’autre jour pour donner une signification ambitieuse à l’élection de M. Ledru-Rollin, ce serait plus probablement la France isolée, laissée à elle-même, peu imitée et réduite à se débattre seule dans ses convulsions. Pour tout dire enfin, si en ce moment la France, le monde, ont les yeux sur Paris, ce n’est pas précisément pour attendre un signal, c’est pour savoir si Paris gardera au moins le bon sens, ou se donnera un ridicule en compromettant singulièrement son influence de ville souveraine et intelligente.

Ainsi le caprice des multitudes faisant et défaisant des popularités de hasard, des déchaînemens de parole, des fanatismes de toute sorte, des ressentimens implacables, des exhumations et des parodies révolutionnaires, des menaces de dictature se déguisant à peine sous des promesses de république, voilà ce que c’est que cette agitation radicale qui se déploie sans contrainte depuis quelques semaines, et voilà aussi ce qui fait qu’elle est profondément distincte de cet autre mouvement dont la liberté a été l’unique inspiration, auquel le pays tout entier s’est associé, qui a pénétré jusque dans le corps’législatif. Le radicalisme révolutionnaire se donne pour l’expression la plus complète de ce réveil public ; il en est la contradiction et le danger. On voit aujourd’hui de quel intérêt il serait que tous les élémens libéraux qui ont concouru au mouvement national de ces dernières années en vinssent à se grouper, à prendre corps, à former un parti ; c’est parce que ce parti, force immense et disséminée, ne s’organise pas, ne fait pas acte de vie et d’initiative, que ce qui se passe à Paris depuis quelques jours a pu arriver. Le radicalisme a eu le champ libre ; on a été surpris, on n’a su à qui s’adresser ni de quel côté se tourner, et ce n’est qu’après des hésitations de toute sorte qu’on s’est mis à chercher à tâtons des candidats, qu’on s’est décidé à engager une lutte dont l’issue n’est douteuse que parce qu’on s’y est mis trop tard. Nul à coup sûr n’est maître des événeraens, toute la question est de savoir si le libéralisme veut toujours être surpris, et se voir ravir la victoire par des adversaires hardis, qui se trouvent toujours prêts quant à eux ; mais où est ce parti, demendera-t-on, de qui se compose-t-il ? Ce n’est pas, selon nous, bien difficile à dire. Ce parti, il se compose de tous ceux qui mettent la liberté, la liberté vraie et réelle, au-dessus de tout, qui ont assez de patriotisme pour ne