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faillîmes manquer le train ; un de nous fut obligé d’y sauter au moment où il s’était déjà mis en marche. Nous eûmes bien un vague soupçon d’avoir oublié quelques paquets, et chacun de nous énumérait sur ses doigts le nombre de ses colis ; mais tant bien que mal nous étions enfin en route. On s’essuya le front, car il faisait très chaud, et nous nous étions livrés à un violent exercice ; puis nous prîmes nos aises autant que le permettaient les circonstances en disant, sans le moindre regret, adieu à la ville de Sacramento, qui disparaissait à notre droite derrière un rideau de grands et beaux arbres.

Les wagons américains sont semblables à ceux que j’ai vus en Suisse et dans le Wurtemberg ; au lieu d’être distribués en compartimens latéraux comme en France, ils sont coupés dans toute leur longueur par un passage qui les divise en deux sections également pourvues de dix bancs à deux places chacun. On peut ainsi, on le voit, se trouver en nombreuse compagnie. Ce mode de construction a, surtout pour les voyages de longue durée, de grands avantages. On y est bien plus à l’aise que dans nos compartimens à huit ou dix places, on peut faire quelques pas dans le passage, qui, la plupart du temps, est libre ; enfin on peut changer de place et de voiture à l’aide des plates-formes qui se trouvent aux extrémités du wagon, et que l’on traverse pour monter dans le train ou pour en descendre ; ces plates-formes facilitent aussi le passage d’un wagon à l’autre, de manière qu’il n’est pas difficile de faire connaissance avec tous ses compagnons de voyage et de choisir, pour s’y fixer, la voiture, dans laquelle on a trouvé la société la plus agréable. Il y a bien un avis de la compagnie affiché aux portes des compartimens et par lequel il est défendu de se tenir sur les plates-formes ou de passer d’un wagon dans l’autre pendant la marche du convoi ; mais il y a à cette interdiction une clause complémentaire qui laisse le voyageur libre d’agir à sa guise : en effet, elle le prévient que, s’il enfreint la défense, il le fait à ses risques et périls. Ces « risques et périls » sont si faibles que personne ne les redoute, et comme les conducteurs et garde-freins permettent aux voyageurs de circuler librement, autant qu’ils ne gênent pas le service, l’avis donné par la compagnie n’a d’autre effet que de la garantir contre des demandes en. dommages-intérêts pour des accidens causés par le déplacement volontaire des voyageurs.

Après avoir satisfait une curiosité bien légitime en examinant mes compagnons de route, j’allai m’établir dans la dernière voiture du convoi. J’y étais secoué un peu plus que dans toute autre ; mais j’avais l’avantage de trouver sur la plate-forme un lieu favorable à l’observation du paysage qui se déroulait tout entier sous mes yeux.