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pour y entreprendre ou diriger des affaires ; ils formaient un groupe à part ; puis venaient les ouvriers, les véritables mineurs, âgés de vingt-cinq à quarante ans au plus, vigoureux, bien découplés, le teint hâlé, les épaules rondes, les mains calleuses, la mise négligée, mais nullement pauvre ou délabrée, — armés de revolvers et de bowie-knives. Ils avaient les mouvemens lourds, le parler lent et réfléchi, une manière à eux d’écouter lorsqu’on leur adressait la parole, l’air défiant et résolu à la fois de gens qui ne veulent pas s’en laisser conter. Ce qui était remarquable, c’était leur calme, le calme d’un homme confiant en sa force et en son courage, et qui ne redoute rien. Enfin il y avait les aventuriers, tourbe de gens sans foi ni loi, qui se traînent à la suite des spéculateurs et des ouvriers, des débitans d’eau-de-vie, des joueurs de profession, des colporteurs, des rôdeurs de toute espèce, en somme une méchante et dangereuse vermine. On les distingue aisément du groupe des mineurs soit à leur mine inquiète ou à leur turbulence, soit à leur politesse de mauvais ton. Ils sont armés comme les mineurs ; mais on se méfie instinctivement de leur revolver, placé droit sous la main, de leur bowie-knife de la plus belle dimension, tandis que ces mêmes armes entre les mains des mineurs ne semblent être là que pour les protéger contre une agression qu’ils ne craignent pas, mais qu’ils ne provoquent pas non plus. C’est à ce ramas de gens tarés qu’il faut faire remonter la principale, sinon l’unique cause des violences et des crimes qui sont commis dans les nouveaux districts de mines argentifères. Le mineur est un ouvrier dont, le travail est excessivement dur, souvent dangereux, et qui gagne son salaire à la sueur de son front. Le milieu dans lequel il vit le rend peu endurant, brutal, enclin aux moyens violens ; mais ses instincts sont ceux d’un honnête homme, et la véhémence de son caractère n’éclate que dans la défense de ses droits ou de sa vie. Alors il sait jouer aussi lestement que l’aventurier du bowie-knife. J’avais vu à San-Francisco quelques échantillons de cette arme du far-west qui, tout ouverts, mesuraient plus de 2 pieds de long. Ils étaient exposés à l’étalage d’une boutique de Montgommery-street, sous la narquoise étiquette de cure-dents du Sapin-Blanc (White-Pine toothpicks).

Pendant que j’étais en Californie, les mineurs du district de Grass-Valley se mirent en grève. Leur principal grief était l’introduction dans les mines d’une nouvelle poudre explosive nommée poudre des géans (giant powder). Les mineurs prétendaient que l’emploi en était dangereux, nuisible à la santé ; les propriétaires soutenaient le contraire, affirmant que la véritable raison des récalcitrans n’était autre que la suppression, par l’agent nouveau, d’une somme de travail jusque-là fournie par la main d’œuvre. On ne put