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humaine du loup et de ses analogues. L’animal précieux que les Esquimaux attellent à leurs traîneaux, et qui les transporte, les défend, les nourrit, est lui-même plus proche du loup que du chien. L’injustice est donc grande de l’opposer sans cesse au renard. Celui-ci, fin sans doute et rusé, ne mérite pas la réputation que les fabulistes lui ont faite. Ce n’est point seulement à cause de son odeur caractéristique qu’il est atteint dans les chasses à courre : une part de ses malheurs revient à sa maladresse, et des bêtes qui ont moins de réputation échappent plus aisément. On a fort admiré son jugement et son courage, parce qu’on l’a vu, pris au piège, se couper un membre et s’enfuir sur trois pattes ; mais quelques loups ont donné le même exemple, et l’on cite un renard qui, dans cette même situation, s’est coupé la patte au-dessous de l’endroit où le piège l’avait saisi. Ce douloureux sacrifice n’améliorait en rien sa situation, et prouvait sa double sottise de s’être laissé prendre et de se mutiler sans profit.


II

Quand on vit avec les bêtes, même avec celles de La Fontaine, surtout avec celles de La Fontaine, on les prend fort au sérieux. C’est lui-même qui nous en donne dès l’enfance le goût, dont une vie enfermée et factice éloignerait la plupart de ses lecteurs. Au risque de quelques idées fausses, nous acquérons par lui, sinon une connaissance exacte des êtres qui nous entourent, du moins des sympathies ou des antipathies qui nous rapprochent d’eux. Pour les enfans qui ont lu La Fontaine, les animaux ne sont plus des étrangers. Aussi ne saurions-nous nous étonner qu’on ait songé à écrire leur histoire, non leur histoire naturelle, mais leur histoire politique. M. Franceschi, dans un livre singulier, d’un style imité de l’ancien français, a pris chacune des fables comme l’épisode de la vie d’un animal, et, réunissant tous les épisodes d’une même vie, il a raconté la naissance, les aventures et la mort des quatre principaux acteurs de la comédie zoologique. M. Taine avait cherché dans les ouvrages de La Fontaine la peinture du roi, du courtisan, du peuple et de la noblesse. Il y a trouvé une galerie de portraits qui, pareils à ceux de La Bruyère et de Saint-Simon, montrent en abrégé tout le siècle. Le lion a la majesté, la cruauté et jusqu’à l’appétit de Louis XIV. Il sait ce qu’il se doit jusque sous la griffe du milan, et garde sa gravité comme le grand roi sa perruque. Lorsque La Fontaine parlait en son propre nom et dans ses préfaces, il était le sujet le plus respectueux ; mais dès que, reprenant son masque, il faisait agir les animaux, il devenait libre et frondeur. « Notre ennemi, c’est notre maître, » il le disait en bon