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pouvoir : leurs armées allaient s’entre-détruire. Si Titus était compromis, Vespasien effacerait l’offense en se déclarant pour le vainqueur. Si Vespasien consentait à se laisser proclamer lui-même, il importait peu de blesser un ennemi auquel on déclarait la guerre. Ce conseil tenu à Corinthe eut donc une influence décisive sur la résolution de Titus. L’usurpation était dès lors un but précis, unique, que la fortune éloignerait ou rapprocherait ; tous les efforts de Titus devaient y tendre.

En regagnant l’Asie, Titus, qui ne négligeait rien, s’arrêta dans l’île de Chypre. Le sanctuaire de Paphos était célèbre. Pour se concilier les Orientaux, Titus y offrit de pompeux sacrifices, consulta le grand-prêtre Sostrate et prétendit lui avoir entendu dévoiler l’avenir qui l’attendait. Il arriva au camp de son père comme exalté par ces prédictions, le front radieux, exprimant une ardeur et une foi que sa vue seule communiquait. Vespasien avait déjà reconnu l’empereur Othon et fait prêter serment à ses légions. Cela n’arrêta point Titus. Les esprits étaient en suspens ; il les entraîna, et sut leur inspirer une immense confiance. Pendant que son père, qui ne voulait ni partager ses espérances, ni approuver ses menées, était tout entier à la guerre, Titus, tout entier à la politique, préparait l’explosion. D’abord il s’assura du dévoûment de l’armée. Il comptait sur les centurions et sur les tribuns, déjà séduits par ses promesses. Il acheva de gagner les soldats, prenant les uns par leurs vertus, les autres par leurs vices, tous par une douceur étudiée ; il savait leurs noms, leurs affaires, leurs plaisirs, les flattait avec adresse, et fermait à propos les yeux quand la licence ne devait point compromettre la discipline.

En même temps il rechercha l’amitié des rois qui étaient voisins, alliés ou tributaires de l’empire. Il avait comme intermédiaires dans ces lointaines négociations le fils et la fille d’Hérode Agrippa Ier, tous deux chassés de Jérusalem par la révolte de leur peuple, tous deux rompus aux intrigues, tous deux n’ayant d’espoir qu’en lui. Le fils portait le même nom que son père : il s’appelait Hérode Agrippa II. Trop jeune à la mort d’Agrippa Ier, il n’avait reçu l’investiture de la tétrarchie qu’après avoir hérité de la principauté de Chalcis en Syrie, que lui laissa son oncle Hérode. Aussitôt après le conseil tenu à Corinthe, il était parti pour Rome afin de solliciter Othon. La fille d’Agrippa Ier était la fameuse Bérénice, transfigurée par Racine, qui lui a prêté le désintéressement, la chasteté, les nobles sentimens, la tendresse, les larmes des héroïnes de Mlle de Scudéry ou de Mme de La Fayette ; elle n’a rien d’une Juive, rien d’une Orientale, rien d’une reine de la famille d’Hérode. Il fallait peindre une Médée ou une Armide ; Racine a peint une Clélie et une