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de Bérénice autant que ses artifices de langage et ses doux sourires. Pleine d’expérience, éprouvée par des péripéties nombreuses, trois fois femme, deux fois mère, dissolue de mœurs, sachant manier délicatement la flatterie, armée de toute la ruse de sa race, rompue au mensonge et à la corruption des petites cours asiatiques, entourée d’éclat et de luxe, elle établit d’autant plus facilement son empire sur Titus qu’elle avait dix ans de plus que lui, et que Titus avait besoin d’elle. « La passion de Titus, ajoute Tacite, ne le détournait point des affaires[1]. » Chez les ambitieux en effet, l’amour ne dure qu’autant qu’il est un instrument de l’ambition. Il se trouva bientôt que Bérénice était pour Titus l’agent le plus utile[2], que son trésor était ouvert, son influence en jeu, car elle était obligée de subordonner sa cause à celle de Titus, et d’ajourner le rétablissement de sa dynastie à Jérusalem jusqu’à la conquête de Rome par la dynastie des Flaviens. Ce fut elle qui, par ses promesses et ses intrigues, fit entrer dans la conspiration Soémus, roi d’Émèse et tétrarque du Liban, Antiochus, roi de Comagène, dont Racine a fait un amant morfondu ; l’un et l’autre pouvaient réunir près de 10,000 cavaliers ou archers. Ce fut elle qui avertit sous main son frère, qui était à Rome, et qui s’échappa dès que la prise d’armes fut décidée. Ce fut elle qui intercéda auprès de Vologèse, roi des Parthes, et provoqua l’offre qu’il fit de 40,000 cavaliers quand on voudrait marcher sur Rome. Le Pont et l’Arménie furent également prévenus. L’or, les provisions de toute sorte, les moyens de transport, tout devait se trouver en abondance chez des rois qui espéraient être payés au centuple par ceux qui leur devraient le trône.

Enfin Titus ménageait les gouverneurs des provinces voisines ; leur hostilité eût anéanti ses projets, et leur concours était indispensable pour en assurer le succès. Il entreprit dans cette intention plusieurs voyages ; ses négociations furent secrètes, il y déploya toute sa diplomatie. En Égypte, le préfet Tibère Alexandre fut aisément gagné ; il promit ses légions. L’Égypte était la clé de Rome, puisqu’il suffisait de retenir les flottes chargées de blé pour condamner les Romains à mourir de faim. Le préfet de Syrie, Mucien, donnait plus d’inquiétudes. Fameux également par ses succès et par ses disgrâces, il avait fait grande figure à la cour, recherché les amitiés illustres, dévoré sa fortune, encouru le déplaisir de Claude ; on l’avait relégué au fond de l’Asie, où il était comme en exil Mélange d’activité et de mollesse, de bonne grâce et d’arrogance, de débauches effrénées quand il en avait le loisir, de tempérance

  1. « Neque abhorrebat a Berenice juvenilis animus, sed gerendis rébus nullum ex eo impedimentum. »
  2. « Nec minore animo regina Berenice partes juvabat, »