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père à se prêter à d’indignes comédies, propres à donner plus de prestige au pouvoir suprême. Vespasien faisait des miracles, comme Simon le magicien ou le thaumaturge Apollonius. Deux misérables, l’un aveugle, l’autre boiteux, l’arrêtèrent sur la place publique : ils le supplièrent de les guérir ; Sérapis pendant leur sommeil leur avait signifié à l’un qu’il recouvrerait la vue, si l’empereur daignait cracher sur ses yeux, à l’autre qu’il marcherait droit, si l’empereur avait la bonté de lui donner un coup de pied. Vespasien rougit d’abord, honteux pour l’humanité et pour lui-même. Pressé par ses amis et par son fils, il cessa de résister ; il cracha, il donna le coup de pied, et le miracle s’opéra. Ainsi fut établi pour les Orientaux le dogme de sa divinité.

Des soins plus graves l’appelaient en Italie. La famine menaçait ; Rome était livrée au désordre ; les soldats y régnaient en maîtres ; la Gaule et la Germanie se révoltaient ; Domitien enfin, son second fils, à peine âgé de dix-sept ans, qu’il avait laissé à Rome, enivré de sa grandeur subite, indocile aux conseils de Mucien, se livrait à ses passions effrénées, prodiguait les magistratures, multipliait les destitutions. Son père lui écrivit même à ce sujet une lettre ironique où il le remerciait « de ne pas l’avoir destitué lui-même et de lui permettre de régner. » Vespasien eut avec Titus un long entretien avant de s’embarquer. Titus avouait qu’il s’était efforcé d’adoucir l’empereur envers son frère en lui remontrant que la principale force d’un souverain qui veut fonder une dynastie, c’est le nombre de ses enfans. Je ne doute pas que le jeune ambitieux n’ait plaidé cette thèse, s’inquiétant peu d’ailleurs des témérités d’un enfant qui avait douze ans de moins que lui ; mais le sujet secret et capital de l’entretien fut Mucien, le trop puissant Mucien qui excitait bien autrement les alarmes de Titus, Mucien qui tenait les armées dans sa main, exerçait à Rome un pouvoir discrétionnaire, promulguait des édits, apposait le sceau, que Vespasien avait dû lui confier, multipliait les concussions, se vantait d’être appelé frère par Vespasien, racontait à tous qu’il lui avait donné l’empire, et se flattait de le partager avec lui. Il était dangereux de laisser Mucien exposé à des tentations croissantes ; il était nécessaire de le ramener par une prudente politique et une ingratitude savamment graduée au rang de courtisan. Après s’être concertés, le père et le fils se séparèrent ; l’un partit pour Rome, afin d’y apprendre le métier d’empereur, l’autre retourna en Judée, afin d’y affermir sa gloire et ses titres à l’héritage d’Auguste.