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intérêt aurait-il donc eu à précipiter la fin de Vespasien ? Le désir de paraître seul aux yeux des hommes et de les étonner par une évolution depuis longtemps méditée ne suffit pas pour expliquer un parricide. Vespasien avait du reste, soixante-douze ans.


IV

D’ordinaire les princes qui se préparent à hériter de la toute-puissance ressemblent aux amoureux qui ne laissent voir que leurs beaux côtés ; ils se font une violence facile pour capter la bienveillance de leur peuple ; ils empruntent naïvement les vertus qu’ils n’ont pas ; ils croient pouvoir jurer qu’ils aiment la justice et même la liberté. Une fois couronnés, ils oublient leurs promesses aussi naturellement qu’ils les avaient faites ; malheur à ceux qui osent les leur rappeler !

Tel n’était point le cas de Titus. Il avait renversé le rôle. Peu de princes sont parvenus au trône plus redoutés et plus haïs ; il n’en est point qui soit devenu plus subitement les délices du genre humain. Si Titus avait été un enfant sans expérience, on pourrait supposer que la douceur de commander l’avait transformé : par une exception inouïe, la pourpre impériale aurait pu le rendre bon, tout aussi bien qu’elle avait fait du jeune Caligula un fou et du tendre Néron un monstre ; mais Titus avait trente-huit ans, l’habitude du commandement, la pratique des affaires, la satiété des grandeurs : il n’a donc point été le jouet d’un enivrement imprévu. Il est évident qu’il a jeté ou qu’il a pris un masque ; ou ses vices étaient calculés, ou ses qualités feintes. Lequel des deux personnages est conforme à la nature ? lequel est le produit d’une volonté merveilleusement soutenue ? Telle est l’énigme proposée à la postérité, énigme plus digne du génie de Racine que les soupirs et les fadeurs en usage sur le fleuve du Tendre. S’il n’avait pas été ce jour-là un courtisan, inspiré uniquement par une belle princesse, Racine nous aurait laissé peut-être le pendant de Britannicus.

Avant tout, il faut qu’un historien essaie de pénétrer le naturel de Titus. Les écrivains anciens nous le peignent aimable, séduisant, plein de grâce dans sa première jeunesse ; ils vantent ses heureuses dispositions ; ils ne disent rien de son caractère, qui n’a dû s’accuser qu’avec les années. Les monumens figurés sont d’autant plus utiles à consulter, puisque l’art seul peut suppléer à l’absence des témoignages écrits. Les médailles présentent deux types. L’un se rapproche sensiblement du type de Vespasien : puisque les successeurs d’Auguste, qui n’avaient rien de son sang, avaient reçu des artistes une empreinte d’Auguste et comme un air de famille, à plus