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d’abord appelé Octave ; Auguste avait pu être clément parce que Octave avait été féroce ; Auguste avait donné la paix au monde après qu’Octave l’avait ensanglanté ; Auguste s’était fait aimer d’autant plus facilement qu’Octave avait été exécré. Titus, avec une dissimulation et une suite qui deviennent son seul mérite, s’est tracé une voie semblable. Il s’est promis de ne rien respecter et d’assurer son pouvoir à tout prix tant que Vespasien vivrait, de se détendre et d’enivrer l’univers de ses bienfaits dès qu’il en serait le seul maître. Le plan que les circonstances et Livie avaient peu à peu imposé à Auguste, Titus le conçut comme une savante comédie, dont le succès était infaillible. Pouvait-il mieux faire que d’imiter le fondateur de l’empire, lui qui voulait être un fondateur de dynastie ?

L’idée d’être un Octave avant d’être un Auguste, de proscrire d’abord pour se montrer ensuite impunément généreux, de terrifier les Romains pour s’en faire plus tard mieux chérir, hâta probablement le siège de Jérusalem. Pendant les lenteurs du blocus, Titus, dont l’esprit était à Rome, imagina ce système qui lui paraissait propre à fortifier le pouvoir dans le présent et la transmission du pouvoir dans l’avenir. La rigueur, l’illégalité, la violence, devaient également profiter à la dynastie, appliquées avec tact ou répudiées à propos. La dispersion des Juifs fut un avertissement adressé aux Romains, de même que le nom de Julie donné par Titus à la fille qui lui naquit le jour de l’assaut semble une invocation aux mânes du formidable Octave. Le mérite n’est pas d’avoir choisi cette tactique, qui est simplement une contrefaçon archéologique ; c’est de l’avoir suivie avec une rare constance pendant huit années. Pendant huit ans, Titus ne s’est pas démenti ; personne n’a pu le deviner, il a dû tromper même son père ; il s’est plu à faire croître autour de lui la peur et l’aversion, prévoyant avec patience le jour des compensations.

Dès la première heure du règne, le voile tomba et un prince nouveau apparut. Les amis pervers firent place aux gens de bien, les orgies aux festins modestes, les désordres aux vertus, la sévérité à l’indulgence sans bornes, les supplices aux faveurs. Simple pontife, Titus avait trempé ses mains dans le sang ; en acceptant le souverain pontificat, il jura de conserver ses mains pures. Il avait ménagé les délateurs, il les fit brusquement saisir, battre de verges sur le forum, exposer dans l’arène, vendre comme esclaves, exiler dans les îles les plus malsaines. Il ratifia par un seul édit toutes les concessions faites par ses prédécesseurs, ce qui n’était point l’usage, accueillit les solliciteurs sans distinction, accorda les demandes sans examen, promit plus qu’il ne pouvait tenir, mais ne renvoya personne sans espérance, et inventa ce fameux mot : « mes amis, j’ai