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nous ayant jamais montré un point de l’espace sans d’autres points au-delà, ni un point du temps sans d’autres qui le suivent, la loi de l’inséparable association ne nous permet pas de penser à un autre point quelconque de l’espace ou du temps, si loin soit-il, sans qu’immédiatement et irrésistiblement il ne nous vienne à l’esprit l’idée d’autres points encore plus éloignés[1]. » S’agit-il d’expliquer tout à la fois les sentimens et les idées sur lesquels on fonde la morale, c’est encore par l’association convertie en habitude. Selon Bain, les sentimens moraux sont d’un caractère très complexe ; ils résultent en grande partie de la combinaison des affections sociales et des émotions sympathiques ou antipathiques. Quant à l’idée d’obligation qui constitue la loi morale proprement dite, Bain la regarde comme un produit de la loi écrite, par conséquent encore de l’expérience, dont la loi écrite n’est que la formule. Selon lui, c’est parce que l’esprit associe l’idée de punition au fait qui la provoque que l’idée d’obligation lui arrive. Donc rien d’absolu, rien d’à priori dans cette notion : il n’y a qu’un simple fait associé à un autre fait. Quant aux sentimens moraux qui résultent d’une culture particulière de l’esprit, il les cite comme un des nombreux exemples servant à démontrer qu’un sentiment peut être, en vertu de la loi de l’association, attaché à des objets qui ne contiennent pas en eux-mêmes ce qui originairement pouvait l’exciter.

S’agit-il enfin d’expliquer le jeu de l’activité volontaire, c’est toujours par une association de phénomènes dont l’un détermine fatalement l’autre, absolument comme dans le jeu des forces naturelles. L’école expérimentale fait du problème du libre arbitre une question de loi, laquelle ne peut être déterminée que par une profonde étude philosophique, et non en faisant appel aux fantaisies et aux idées d’un individu au sujet des choses qui le concernent. Pour cette école, la volonté libre est un effet sans cause, c’est-à-dire un mystère qu’il n’est pas plus scientifique d’admettre que l’innéité de certaines idées et la nécessité logique de certains principes rationnels. Stuart Mill oppose à la doctrine du libre arbitre un argument que M. Littré cite comme irréfutable. « Les déterministes affirment comme une vérité d’expérience que, dans le fait, les volitions sont consécutives à des antécédens moraux avec la même uniformité, et, quand nous avons une connaissance suffisante des circonstances, avec la même certitude que les effets physiques sont consécutifs à leurs causes physiques. Ces antécédens moraux sont des désirs, des aversions, des habitudes, des dispositions combinées avec des circonstances extérieures propres à mettre en action les

  1. Stuart Mill (Psychologie d’Alexandre Bain).