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qui laisse toute sa plénitude à l’indépendance des compagnies et qui assure au contrôle des intéressés toute l’efficacité dont il est susceptible ? C’est ce que nous allons examiner en exposant les récentes réformes accomplies en Angleterre et en Italie.

Si la législation comparée offre des enseignemens et présente une utilité pratique réelle, c’est surtout en matière commerciale. Quand il s’agit de lois politiques, le passé de chaque pays influe nécessairement sur son présent ; la force des traditions nationales, les dissemblances dans le groupement des élémens sociaux, mille autres causes qui tiennent à l’histoire et au caractère des peuples, ne leur permettent pas de profiter toujours des exemples qu’ils se peuvent donner réciproquement, et de se faire les uns aux autres de larges emprunts. En droit civil aussi il y a des habitudes séculaires, un ensemble d’idées et de mœurs invétérées qui donnent aux lois comme une direction inévitable. Le droit commercial est un terrain beaucoup plus commun ; les nécessités des affaires sont partout les mêmes. En outre une société par actions est de sa nature une institution cosmopolite ; elle peut avoir des rameaux dans toutes les contrées civilisées, et trouver, le fait n’est pas rare, des actionnaires en tout pays. Il importe donc, en matière de société plus qu’en toute autre, que les diverses législations européennes se mettent d’accord.


I

L’Angleterre, que l’on a appelée la nation capitaliste, semblerait avoir dû précéder tous les autres pays dans la découverte des modes d’association les plus féconds, et cependant, malgré l’exception célèbre de la grande compagnie des Indes, les traditions et le caractère britannique se sont longtemps montrés rebelles à la pratique des sociétés anonymes. Ce peuple essentiellement mercantile, doué à la fois de l’esprit d’aventure et du plus scrupuleux respect des engagemens pris, regardait comme un contre-sens et une chose contre nature la création de compagnies commerciales où les associés n’apporteraient pas toute leur fortune, où ils prendraient soin de se dégager par avance des éventualités d’insuccès. Les nécessités des affaires, plus fortes que les raisonnemens théoriques, contraignirent nos voisins à de fréquentes dérogations qui avaient pour inconvénient d’offenser la logique de la législation et pour avantage d’aider l’essor de l’industrie et de la banque. Pour les entreprises vastes et hasardeuses devant lesquelles les capitaux des riches maisons de la Cité auraient manqué de force ou de foi, l’on avait recours par voie exceptionnelle à la création de compagnies dont l’existence était subordonnée à de longues et coûteuses formalités. Une société