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anonyme ne pouvait naître dans la Grande-Bretagne sans que le parlement en eût approuvé et voté les statuts. L’acte constitutif d’une compagnie à responsabilité restreinte devait donc être une loi. Ce système, qui se rapprochait du nôtre, lequel exigeait en pareil cas l’autorisation du souverain, avait cependant quelques inconvéniens et aussi quelques avantages. On pouvait dire en faveur du régime anglais qu’un acte législatif présente des garanties d’impartialité plus grandes qu’un décret portant règlement d’administration publique, qu’il offre moins le caractère de faveur et se prête plus difficilement aux intrigues ; mais on doit ajouter à sa charge qu’un acte du parlement est une chose infiniment coûteuse et extrêmement lente : l’on n’évalue pas à moins de 40,000 fr., de l’autre côté de la Manche, les frais d’un acte parlementaire. Le législateur anglais commençait donc par lever un impôt bien lourd sur la société qui lui demandait de naître. Ce n’était pas là le seul obstacle au fonctionnement des sociétés anonymes en Angleterre. Un acte législatif est quelque chose à la fois d’immuable et de complet auquel une loi postérieure peut seule déroger ou ajouter. La moindre modification dans les statuts sociaux exigeait donc une autre intervention du parlement sur nouvelles informations et nouveaux frais. On conçoit ce qu’un cadre aussi rigoureux avait de restrictif et de gênant.

Tel était le régime des sociétés anonymes en Angleterre il n’y a que quelques années à peine. Il importe de ne le pas perdre de vue pour bien mesurer l’étendue et la rapidité du chemin parcouru. En 1859, un premier pas fut fait par la loi 21 et 22 Vict., ch. LXCI, qui introduisait dans la législation le principe de la responsabilité limitée ; mais cette loi était spéciale aux joint stock banking companies, sociétés financières de banque et d’escompte. Les actes de 1862 et de 1867 furent à la fois plus généraux et plus décisifs : ils constituèrent un système qui, pour être susceptible d’amélioration dans des points de détail, n’en est pas moins définitif dans son ensemble. Sans entrer dans l’examen compliqué des nombreuses dispositions de ces lois fondamentales, nous voudrions mettre en lumière celles des clauses qui concernent l’indépendance des sociétés anonymes et le contrôle des intéressés, nous voudrions surtout signaler les moyens, ingénieux et simples en même temps, par lesquels le législateur anglais s’est efforcé d’assurer aux compagnies le maximum de liberté et aux actionnaires le maximum de garantie.

Dans le dédale des dispositions particulières que contiennent les deux lois de 1862 et de 1867, l’on peut aisément découvrir une pensée générale, à laquelle tout se ramène et se subordonne. Le législateur anglais s’est occupé, non de créer un système arbitraire et artificiel, mais de reconnaître et de constater les règles naturelles qui doivent régir les sociétés par actions. N’ayant pas de vie