Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la tempête et poussé vers une terre australe inconnue. Il y fit, pour se radouber, une relâche de six mois au milieu d’une peuplade paisible dont le chef lui confia son jeune fils, sous promesse de le lui ramener après l’avoir initié aux mœurs et à l’habileté guerrière des Européens. Cette promesse, Gonneville ne devait pas la réaliser. Lorsque après mille vicissitudes il ramenait au pays natal un équipage décimé par la fatigue et les maladies, il fut attaqué sur les rivages mêmes de la Normandie par des pirates auxquels il n’échappa qu’en se jetant à la côte, où le navire sombra avec son chargement.

Les pauvres naufragés, dépouillés de tout le fruit de leur aventureuse campagne, portèrent devant la justice une plainte régulière du fait de piraterie dont ils étaient victimes. Pour tenir lieu du journal de bord, perdu avec le reste, une déclaration circonstanciée du voyage fut déposée par le capitaine Gonneville au greffe de l’amirauté. Quant au jeune sauvage Essomeric, ne pouvant le rapatrier, le bon gentilhomme l’adopta et le maria à une héritière de sa parenté. Un arrière-petit-fils issu de ce mariage, l’abbé Jean Paulmier de Courtonne, qui avait dans ses papiers de famille une copie de la déclaration du capitaine, publia en 1664 des « Mémoires touchant l’établissement d’une mission chrétienne dans le Troisième-Monde, autrement appelé la Terre australe, méridionale, antarctique, inconnue. « Il attira la curiosité des marins sur cette terre dont il dépeignait le doux climat et les habitans si hospitaliers, mais dont il ignorait la situation. La compagnie des Indes fit rechercher à son profit, dans les mers australes, la fameuse Terre de Gonneville ; ce fut le but des voyages de Lozier-Bouvet, de Kerguélen, de Marion et Crozet ; mais les îles auxquelles ils ont laissé leurs noms ne répondent nullement à la description de l’abbé Paulmier. Ce dernier n’ayant indiqué clairement ni la route d’aller, ni celle de retour, on avait cherché, mais vainement, dans les greffes d’amirautés la déclaration originale de 1505. Le voyage de Gonneville était donc toujours enveloppé d’obscurité, et les opinions les plus diverses avaient cours sur la position géographique de la terre découverte par lui. Le hasard a fait retrouver enfin, parmi les manuscrits de la bibliothèque de l’Arsenal, le document si longtemps cherché. M. d’Avezac vient d’en publier le texte original, avec une introduction et des éclaircissemens précieux. L’étude attentive du vieux récit lui a permis de retracer la route suivie par les marins français de 1503 et de conclure, avec quelque assurance, que la terre de Gonneville était située dans la partie sud du Brésil, probablement vers San-Francisco-do-Sul.


R. R.

C. BULOZ.