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nombre de pères de famille catholiques ou protestans ont des principes absolument différens des vôtres. Ils tiennent que la religion n’est pas le superflu de l’école, qu’elle en est le nécessaire ; qu’elle n’est pas le couronnement de l’éducation, qu’elle en est la racine ; qu’elle doit tout inspirer, tout pénétrer de son esprit ; qu’il y a une manière catholique et une manière protestante d’enseigner la géographie et l’histoire, que la loi naturelle est d’une efficacité douteuse ; que la religion n’est rien sans un dogme positif, ni la morale sans un credo et une sanction ; que croire en Dieu est peu de chose, qu’il s’agit de croire à un certain Dieu. Voudriez-vous contraindre le père de famille à envoyer son enfant dans une école où manquerait ce qui est à ses yeux l’âme et l’essence même de l’éducation ? Vous êtes trop libéraux pour cela. Nous vous accordons vos écoles non-confessionnelles ; en retour, unissez-vous à nous pour obtenir de l’état qu’il nous octroie la pleine liberté de fonder des écoles confessionnelles à l’usage de ceux qui font passer leur confession avant tout. » Les libéraux n’ont pas l’air d’entendre cette requête, qui les dérange ; mais le gouvernement, qui a l’oreille fine, l’entend, et il en tire des conclusions dont ne se peuvent réjouir ni les catholiques éclairés ni le libéralisme conséquent.

Le gouvernement prussien a très peu de goût pour la liberté absolue de l’enseignement, telle qu’elle se pratique en Belgique. Ce ne sera jamais de ce côté qu’il ira chercher ses modèles. Il n’aurait garde d’encourager outre mesure l’enseignement privé, ni de biffer l’article de loi qui astreint quiconque veut fonder une institution particulière à subir un examen et à démontrer qu’il possède les qualités et les connaissances nécessaires au métier. En revanche, il s’empresse de reconnaître que le premier devoir de l’école est d’éduquer plus que d’instruire, et que la religion est le fondement même de l’éducation. La loi naturelle, la morale indépendante, ne lui plaisent guère ; ce sont de faibles palliatifs contre l’esprit d’insubordination et de discussion. Aussi bien la théorie de l’école laïque est solidaire de la théorie de l’état laïque, laquelle n’est point admise en Prusse. A Berlin, l’état se reconnaît pour chrétien, et si l’article 12 de la constitution proclame la liberté religieuse, l’article 14 déclare que la religion chrétienne est la base de toutes les institutions qui sont en rapport avec l’exercice de la religion, article très vague et très compréhensif, où l’enseignement, bien malgré lui, se trouve englobé. Le gouvernement prussien, qui est très avisé, sait bien que, si dans l’école publique la religion n’était qu’un objet secondaire, il s’ouvrirait bientôt nombre d’écoles confessionnelles où elle serait le fondement de tout. Aussi s’est-il converti depuis longtemps au principe de l’école confessionnelle, et il se fait un devoir d’en établir deux partout où les confessions se balancent. Il