Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la déranger, d’interrompre le cours de ses idées et de ses affaires.

La réforme que le roi Guillaume annonça dès 1860 à la chambre, et qu’il lui imposa de son autorité, était destinée à mettre fin à ces causeries intérieures de la landwehr. Jusqu’alors, le soldat prussien avait passé deux ans sous les drapeaux, trois dans la réserve. Le nouveau projet l’astreignait à sept années de service dans l’armée active, dont trois sous les drapeaux. En revanche, le service dans la landwehr était réduit de quatorze à neuf. Du même coup, la levée annuelle était portée de 40,000 à 63,000 hommes. Il en résultait qu’une mobilisation ordinaire laissait les hommes de la landwehr dans leurs villes et leurs villages ; on pouvait dorénavant se passer d’eux. Par cette réforme, le gouvernement prussien atteignait un double but : il avait sous la main un outil dont il pouvait se servir à sa guise et qui lui assurait la liberté de ses mouvemens, et comme il est essentiellement éducateur, en augmentant le contingent annuel et la durée du service actif, il s’assurait également le moyen de mieux façonner son monde à l’obéissance. Une armée où passent presque tous les hommes valides, où les officiers appartiennent presque tous à une classe conservatrice par naissance et par principes, où les recrues sont retenues assez longtemps à la caserne pour en contracter l’esprit, assez longtemps sous la discipline pour en prendre à jamais le pli, une armée ainsi constituée est une admirable école de respect et de docilité, un merveilleux complément dans l’éducation d’un peuple au catéchisme enseigné par ordonnance de la police. On crée ainsi, non une armée nationale, mais une nation militaire et gouvernable. D’une institution libérale et démocratique, le système qui régit actuellement la Prusse a fait un instrument de dressage et de gouvernement.

L’un des embarras intérieurs de la Prusse est l’opposition radicale, absolue, que se font deux chambres incapables de s’entendre et même de se comprendre. Son autre maladie politique est l’omnipotence d’une administration qui se dérobe à tout contrôle, qui interprète les lois et les institutions contrairement à leur esprit et dans le sens de ses intérêts. Ce que le gouvernement prussien a fait de l’armée et de l’école, il le fait de la constitution elle-même : il la traduit à sa façon, et, comme il a la force en main, il faut bien que son interprétation soit la bonne.

On sait comment la Prusse s’est transformée de monarchie absolue en monarchie constitutionnelle. Du 3 février 1847 au 31 janvier 1850, elle a eu quatre constitutions. La-première lui fut octroyée ; œuvre personnelle du roi Frédéric-Guillaume IV, c’était une charte selon le cœur de la royauté, et qui renfermait les suprêmes