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concessions qu’elle fût disposée à faire à ses sujets. Une chambre, formée de la réunion des diètes provinciales, acquérait le droit de voter les nouveaux impôts et un simple droit de délibération législative. Les Hohenzollern ne sont pas seulement des soldats, plusieurs d’entre eux furent orateurs. Dès le XVe siècle, on vit succéder à Albert, surnommé Achille, Jean, surnommé Cicéron. Frédéric-Guillaume IV, qui était un homme de beaucoup d’esprit, aimait à parler, — on lui a même reproché de trop parler ; — mais ce qu’il disait était toujours précieux à recueillir. On en pourrait faire un manuel qu’on intitulerait recueil de maximes à l’usage des princes qui sont obligés d’accorder une constitution à leurs peuples et qui désirent connaître la manière de s’en servir. « Je sais, dit-il à cette chambre qu’il avait convoquée, je sais qu’avec les droits que je vous octroie je confie dans vos mains un précieux trésor de libertés. Ce fut le bon plaisir de Dieu de rendre la Prusse grande par l’épée, par l’épée de la guerre au dehors, par l’épée de l’esprit au dedans ; mais l’esprit dont je parle n’est pas l’esprit de négation du siècle, c’est l’esprit d’ordre et de discipline. De même que dans un camp une seule tête doit commander, de même, sous peine de déchoir de leur grandeur, les destinées de ce pays doivent être dirigées par une seule volonté. Sans doute un roi de Prusse commettrait un crime, s’il exigeait de ses sujets la docilité des esclaves ; il en commettrait un plus grand encore, s’il n’exigeait d’eux ce qui est la couronne de l’homme libre, l’obéissance au nom de Dieu et de la conscience. »

Survint la révolution de 1848, et le peuple prussien, qui n’estimait pas que son seul droit fût d’obéir, se donna cette fois une constitution à sa guise, laquelle, selon le mot des royalistes purs, soumettait la couronne à l’oppression d’un parlement. La couronne ne tarda pas à en appeler ; l’assemblée nationale fut dissoute, et le roi remplaça la charte qu’elle avait votée par une autre qui lui plaisait moins cependant que celle de 1847 ; mais il se réservait d’en effacer tout ce qui pouvait compromettre son autorité et sa puissance. La révision se fit, et cette constitution expurgée est aujourd’hui la loi du royaume. Elle renferme nombre de dispositions libérales qui pouvaient inspirer des inquiétudes ; toutefois on avait tant légiféré depuis trois ans qu’il fallait en finir, et Frédéric-Guillaume IV se dit très sagement qu’une constitution est peu de chose, que le grand point est la façon de l’interpréter. Au surplus il pouvait se rassurer. La chambre élective n’avait que le droit de voter les nouveaux impôts, elle ne pouvait toucher aux impôts existans ; quel moyen avait-elle de faire prévaloir ses idées ? C’était un parlement, mais un parlement désarmé. D’autre part, la chambre des seigneurs était là pour protéger la couronne contre le droit d’initiative qu’on avait