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concédé aux députés bourgeois. Composée des princes de la famille royale, des comtes et des princes médiatisés, de l’élite des grands propriétaires fonciers et d’hommes de confiance, cette chambre haute était véritablement le camp retranché, les forts détachés de la royauté. Le langage que tint le roi en prêtant serment à cette quatrième charte était exactement le même qu’il avait tenu en 1847. « Pour que cette constitution soit viable, dit-il, il est absolument nécessaire qu’elle me rende le gouvernement possible. En Prusse, le roi doit gouverner, non parce que tel est son bon plaisir, mais parce que c’est l’ordre et la volonté de Dieu. Un peuple libre sous un roi libre, telle fut ma devise depuis dix ans, et je n’en changerai pas tant qu’il me restera un souffle de vie. »

Un peuple libre sous un roi libre, — formule magique, insondable, pleine de mystères et de ténèbres ! Où finit la liberté du roi ? où commence celle du peuple ? Assurément les Prussiens jouissent aujourd’hui de certaines franchises, de certains droits ; ils possèdent une certaine liberté de la presse, tempérée, il est vrai, par la saisie administrative ; ils possèdent une autre liberté, bien plus chère aux Allemands et sans laquelle ils ne pourraient vivre, celle de s’assembler et de s’associer ; ils sont encore autorisés à nommer par une élection à deux degrés une chambre qui est maîtresse de refuser les projets de loi qui ne lui conviennent point. Voilà la part du peuple. Quelle est celle du roi ? Un roi de Prusse n’est « libre » que lorsqu’il a le droit absolu de choisir ses ministres selon son goût et sans s’inquiéter s’ils agréent ou désagréent à sa chambre ; il n’est libre qu’à la condition que son armée soit à lui et ne soit qu’à lui, qu’il en puisse disposer comme il lui plaît, et qu’il n’ait à rendre compte qu’à Dieu de sa politique étrangère ; il n’est libre encore qu’à la condition de pouvoir administrer et gouverner comme il l’entend et d’assouplir les lois qui le gênent par les décisions d’une jurisprudence politique dont les interprétations sont indiscutables. Si la chambre des députés, se souvenant qu’elle a part à l’initiative des lois, proposait au gouvernement quelque réforme libérale, il n’aurait pas à prendre la peine de la refuser, la chambre des seigneurs se chargera d’enterrer ce projet mort-né. Ou si, par voie d’interpellation, les députés essayaient d’exercer quelque influence sur la conduite des affaires, ils s’entendraient dire ce qu’on leur a dit si souvent : « Nous respectons infiniment les droits du parlement, pourvu qu’ils soient conciliables avec les prérogatives de la couronne et avec la sûreté de l’état. Nous aurons toujours du plaisir à causer avec vous ; mais ne vous flattez point de nous lier jamais les bras. Croyez-nous, nous sommes meilleurs juges que vous des intérêts du pays, nous représentans à la fois le droit divin et le salut