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public. » Que le parlement, faute de mieux, s’avise de rayer du budget des dépenses un modeste article de 4,000 thalers destinés aux émolumens de juges suppléans, dont l’indépendance lui est suspecte, on se fâchera tout rouge, on lui dira très crûment, comme dans la séance du 1er décembre 1868 : « Que prétendez-vous avec vos propositions ? Vous avez des volontés, c’est possible ; mais nous vous sommes garans qu’elles ne seront pas exécutées. Ne vous laissez pas tromper par les journaux ; on a voulu vous persuader que moi, ministre de la justice, j’avais des velléités libérales. Il n’en est rien, je vous jure ; je ne suis point libéral, et j’ai moins de penchant encore à coqueter avec les partis. Qu’arrivera-t-il, messieurs ? J’allouerai à mes juges subsidiaires des indemnités qui leur seront payées, et je vous porterai ces indemnités en compte sur le budget. C’est un cas de conflit ; le gouvernement ne l’a pas cherché, mais il est prêt à ramasser le gant. » On ne se fâche pas toujours ; on se contente le plus souvent de déclarer d’un ton superbe et dégagé que le centre de gravité politique ne réside pas dans les assemblées, qu’il ne leur appartient point de rien décider, que la Prusse n’est pas et ne veut pas être un pays parlementaire, qu’il faut abandonner le soin de conduire les affaires à ceux qui les connaissent… On sait le reste. Un peuple libre sous un roi libre ! En y réfléchissant, on découvre que la chose n’est pas aussi mystérieuse qu’il semblait, que c’est à peu près le contraire du parlementarisme. Pourtant cette définition n’épuise pas les profondeurs occultes de la formule magique. C’est plus qu’une formule, c’est un dogme de théologie politique, et l’on sait que Frédéric-Guillaume IV était connaisseur en théologie comme en beaux-arts. Les dogmes ne s’expliquent pas ; il faut s’incliner, renoncer à comprendre et se ! soumettre. Credo quia absurdum.

Tout observateur désintéressé qui fait un séjour de quelque durée en Prusse ne peut manquer d’éprouver deux impressions également vives. Il ne pourra se défendre d’admirer les qualités fortes, solides et saines de ce peuple, la vigoureuse constitution d’une société où, du roi jusqu’à l’artisan, chacun est tenu de s’employer pour la chose publique, et où personne ne songe à discuter son devoir. D’autre part, il aura le sentiment que la Prusse est dans une situation tendue, qu’ainsi que le confessait un jour M. de Bismarck, la royauté absolue, qui n’a point abdiqué, s’y trouve en présence de la monarchie constitutionnelle, l’une avec ses prétentions d’un autre âge, ses légions d’employés, sa police tracassière et impérieuse, l’autre avec d’heureux commencemens de self-government) d’administration libre, — que l’une ne peut plus convenir au peuple, que l’autre est insupportable à la couronne, — que chacune des parties adverses tire à soi la constitution, que le conflit est toujours prêt à