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Sur le papier, ce système est d’une simplicité parfaite ; mais dans la pratique il n’est pas seulement insuffisant, il est dangereux. « Vouloir tout diriger, dit avec raison M. Chenu, vouloir être présent partout, c’est vouloir être faible ou nul partout. Le sous-intendant ne peut être en effet, dans les marches ou pendant le combat, près du général, sa place réglementaire, en même temps qu’à l’ambulance, aux subsistances, aux fourrages, etc. Il ne peut, comme le prescrit le règlement, s’occuper de l’enlèvement des blessés du champ de bataille, des distributions de vivres, assurer le campement et surveiller le parc aux bestiaux, faire des réquisitions, correspondre avec l’intendant, explorer les granges, les magasins, les fours existans dans la localité et ses alentours, saisir les denrées abandonnées par l’ennemi, faire manutentionner pour donner du pain à sa division, etc.[1]. » Non, sans doute, on ne crée pas l’ubiquité par un règlement ; mais quel est le résultat de ce système ambitieux ? La misère du soldat. Le service de santé est sans cesse gêné ou compromis. En théorie, l’intendant est le directeur des ambulances et des hôpitaux ; mais comment surveillerait-il vingt ambulances, ou, comme on l’a vu à Milan, vingt-cinq hôpitaux à la fois ? Y a-t-il au moins une hiérarchie constituée ? A défaut de l’intendant, y a-t-il un chef qui prenne la direction de l’hôpital, comme il y a un capitaine pour prendre le commandement du bataillon en cas de nécessité ? Non. Quand l’intendant n’est pas là, l’hôpital a trois chefs indépendant : le comptable, le médecin et le pharmacien. A l’ambulance, la confusion est plus grande encore. Sans parler des aumôniers, il y a des médecins, des chirurgiens, des comptables qui conduisent les infirmiers, des officiers et des soldats du train. Dans cette anarchie, chacun tire de son côté. A Meldole, au lendemain de la bataille de Solferino, on a vu, par l’effet d’une panique, les infirmiers et les soldats du train prêts à partir, tandis que les médecins, fidèles à leur devoir, refusaient d’abandonner leurs blessés. L’effet le plus certain de cette centralisation à outrance, c’est un désordre complet.

Quand l’intendant est à même d’intervenir, les choses vont-elles mieux ? Non, c’est une lutte perpétuelle. Un décret peut établir l’omnipotence de l’intendant, mais il ne peut pas faire que le chirurgien qui soigne les blessés, que le médecin qui répond de la santé de l’armée, laissent un administrateur organiser à sa guise des hôpitaux, véritables foyers d’infection qui engendrent la maladie et la mort. De là des conflits misérables ; l’autorité triomphe, c’est l’usage en France ; mais nos soldats paient de leur vie cette triste victoire du règlement. Sont-ce là de vaines accusations ?

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier, p. XXXVII.