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« Gulhané et Dolma-Batché existent, parce que, en l’absence d’un intendant divisionnaire à Constantinople, j’ai pris au commencement de septembre l’initiative des demandes et démarches. Aujourd’hui, relégué derrière un intendant et un général de brigade, réduit à discuter leurs idées, à réfuter leurs vues, à bégayer les miennes par une interminable et fastidieuse correspondance, quand il leur plaît de me consulter… je n’ai plus qu’à repousser toute responsabilité dans les effets ultérieurs d’une direction incompétente qui réduit la mienne à néant.

« Votre excellence m’écrit : « Votre mission consiste à organiser et à diriger. » En réalité, ma mission a consisté le plus souvent… à m’épuiser en communications latérales, en suggestions officieuses, en avis consultatifs, en prévisions presque toujours contestées et écartées, et presque toujours justifiées ; mais, quand il s’est agi de direction, je me suis trouvé à la suite de MM. les sous-intendans, paralysé par les revendications d’autorité administrative ; M. l’intendant m’a en outre signifié sa supériorité de grade, à moi fonctionnaire sans grade assimilé, et notifié très explicitement ses prétentions disciplinaires.

« Michel Lévy, inspecteur du service de santé[1]. »


Après dix mois de luttes où sa santé s’est épuisée, M. Michel Lévy obtient la faculté de rentrer en France. Jusqu’au dernier moment, il appelle l’attention du général en chef et de l’intendant sur les dangers qui menacent l’armée ; le 12 mars 1855, il écrit de Constantinople au président du Conseil de santé à Paris :


« J’ai la douleur de vous annoncer de nouvelles et regrettables pertes dans notre corps médical d’Orient. Voilà 26 médecins morts depuis l’ouverture de la compagne ! Aucun corps d’officiers n’a fait de pareilles pertes… Mais à cause même du beau temps, des foyers de putréfaction multiples, jusqu’alors arrêtés par le froid, entrent en activité. Je ne cesse d’exciter par des lettres motivées l’attention du général en chef et de l’intendant. J’ai recommandé l’abandon des taupinières ou excavations, que j’ai prédit devoir être autant de nids à typhus et à scorbut ; j’ai demandé avec instance le rétablissement des tentes sur le niveau du sol, l’ensevelissement des cadavres d’animaux sous une couche de chaux, etc. ; j’ai rédigé une instruction hygiénique sur le scorbut, je réclame l’évacuation immédiate des scorbutiques sur Constantinople ; j’ai pressé auprès de l’intendant en mission ici l’envoi en Crimée de pommes de terre, oignons, citrons, huile et vinaigre, moutarde, etc.[2]. »


On ne tient pas compte de ces avertissemens prophétiques. Au mois d’octobre 1855, M. Baudens, qui remplace M. Michel Lévy,

  1. Statistique de la campagne d’Italie, p. 734.
  2. Ibid., p. 742.