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brûler; appuyé sur ses docteurs de Sorbonne, il le semonce, le dépose. Nonobstant cela, son type le plus parfait est un saint canonisé, saint Louis, si pur, si humble, si simple et si fort. Il a ses adorateurs mystiques; la bonne Jeanne d’Arc ne le sépare pas de saint Michel et de sainte Catherine; cette pauvre fille vécut à la lettre de la religion de Reims. Légende incomparable! fable sainte! C’est le vulgaire couteau qui fait tomber la tête des criminels qu’on lève contre elle ! Le meurtre du 21 janvier est, au point de vue de l’idéaliste, l’acte de matérialisme le plus hideux, la plus honteuse profession qu’on ait jamais faite d’ingratitude et de bassesse, de roturière vilenie et d’oubli du passé.

Est-ce à dire que cet ancien régime, dont la société nouvelle cherchait à faire disparaître le souvenir avec le genre particulier d’acharnement qu’on ne trouve que chez le parvenu contre le grand seigneur auquel il doit tout, est-ce à dire que cet ancien régime ne fût pas gravement coupable? Certes il l’était; si je faisais en ce moment la philosophie générale de notre histoire, je montrerais que la royauté, la noblesse, le clergé, les parlemens, les villes, les universités de la vieille France, avaient tous manqué à leurs devoirs, et que les révolutionnaires de 1792 ne firent que mettre le sceau à une série de fautes dont les conséquences pèsent lourdement sur nous. On expie toujours sa grandeur. La France avait conçu sa royauté comme quelque chose d’illimité. Le roi à la façon anglaise, sorte de stathouder payé et armé pour défendre la nation et détenir certains droits, était pour elle un non-sens. Dès le XIIIe siècle, le roi d’Angleterre, sans cesse en lutte avec ses sujets et lié par des chartes, est pour nos poètes français un objet de dérision; il n’est pas assez puissant. La royauté française était quelque chose de trop sacré; on ne contrôle pas l’oint du Seigneur; Bossuet était conséquent en dressant la théorie du roi de France avec l’Écriture sainte. Si le roi d’Angleterre avait eu cette teinte de mysticité, les barons et les communes n’auraient pas réussi à le mater. La royauté française, pour produire ce brillant météore du règne de Louis XIV, avait absorbé tous les pouvoirs de la nation. Le lendemain du jour où l’état se trouva constitué sous la main d’un seul en cette puissante unité, il était inévitable que la France se prît telle que l’avait faite le grand roi, avec son pouvoir central tout-puissant, ses libertés détruites, et, jugeant le roi une superfétation, le traitât comme un moule devenu inutile dès que la statue est coulée. Richelieu et Louis XIV ont été de la sorte les grands révolutionnaires, les vrais fondateurs de la république. Le pendant exact de la colossale royauté de Louis XIV est la république de 1793, avec sa concentration effrayante des pouvoirs, monstre inoui tel que l’on n’en avait jamais vu de semblable. Les exemples de républiques ne sont pas