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service de l’Amérique toute l’expérience acquise en Crimée, dans l’Inde et en Italie.

Mais, si elle ne réclame ni autorité ni rémunération, la commission veut connaître toute la vérité. Elle examinera à fond le régime et la cuisine des soldats, elle s’inquiétera de l’habillement, des tentes, du campement, des transports, de la police sanitaire ; en deux mots, elle recherchera, elle indiquera tout ce qu’on peut faire pour prévenir les causes d’affaiblissement, d’infection et d’épidémie. La commission s’occupera également des ambulances, des hôpitaux militaires de toute classe, des garde-malades, des soins à donner aux blessés, de tous les moyens de faire parvenir aux soldats les secours que la générosité du pays leur envoie[1]. A vrai dire, si son action officielle est nulle, son influence sera illimitée ; elle sera la nation elle-même veillant au salut de ses enfans.

Quinze jours après la présentation de ce programme, la commission sanitaire est reconnue et instituée par le président Lincoln sous le nom de Commission d’enquête et d’avis pour tout ce qui touche l’intérêt sanitaire des armées de l’Union. Elle se composait d’un pasteur, M. Bellows, d’un ingénieur hydrographe, le professeur a Dallas Bâche, de quatre médecins et de deux officiers. On lui reconnaît le droit de s’adjoindre de nouveaux membres, et le ministre de la guerre ordonne à toute personne au service des États-Unis de seconder, dans la mesure de son pouvoir, les enquêtes que fera la commission. C’est à ce comité, sans caractère officiel, et qui n’a jamais compté plus d’une vingtaine de membres titulaires, que le gouvernement remet le contrôle médical de l’armée et la direction de l’opinion.

Est-ce à dire qu’aux États-Unis l’administration n’ait ni jalousie ni défiance, et qu’elle voie sans regret de simples particuliers se mêler de ses affaires ? Non, les administrateurs américains ne sont pas des anges ; ils ont toutes les faiblesses des hommes en général et des fonctionnaires en particulier. Dans le premier moment, ils ont regardé la proposition de M. Bellows et de ses amis comme un projet chimérique, un rêve de femmes sensibles, de tendres pasteurs et de médecins philanthropes. Lincoln lui-même, le bon Lincoln, ne se fit nul scrupule de dire à M. Bellows que la commission lui faisait l’effet d’une cinquième roue à un carrosse, the fifth wheel of the coach ; il croyait qu’elle ne servirait à rien, si même elle n’était un embarras. Pourquoi donc l’acceptait-on ? C’est que le sentiment national poussait à quelque institution de cette espèce, et qu’aux États-Unis le gouvernement se fait gloire d’être, non pas le maître, mais le serviteur de l’opinion.

  1. The United-States sanitary Commission, Boston 1863. p. 12-15.