Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hôpital sans qu’une pareille agglomération ait présenté le moindre inconvénient ; grâce à la simplicité de la construction, on a pu couvrir l’Amérique d’hôpitaux élevés en quelques mois et assez larges pour abriter 90,000 malades. L’industrie que nous employons uniquement à détruire les hommes a servi là-bas à les conserver.

Aussi n’est-ce pas sans un légitime orgueil que le médecin en chef de l’armée des États-Unis, le docteur Joseph Barnes, successeur du docteur Hammond, a écrit les lignes suivantes qu’on fera bien de méditer :


« Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire du monde d’un si vaste système d’hôpitaux créés en si peu de temps. Jamais établissemens hospitaliers en temps de guerre ne furent moins encombrés et aussi libéralement pourvus. Ils diffèrent aussi de ceux des autres nations en ce qu’ils furent placés sous les ordres des médecins. Au lieu de mettre à la tête d’établissemens institués pour la guérison des malades et des blessés des officiers de troupe, dont malgré tous les autres mérites on ne pouvait attendre la parfaite intelligence des besoins de la science médicale, et qui avec les meilleures intentions du monde auraient pu embarrasser sérieusement son action, comme cela est malheureusement arrivé pendant la guerre de Crimée, notre gouvernement, plus sagement inspiré, voulut faire du médecin le chef de l’hôpital. En lui imposant ainsi la responsabilité des résultats de sa direction, il ne lui refusa rien de ce qui pouvait rendre ces résultats favorables. Le corps médical peut montrer avec orgueil les conséquences de cette conduite libérale ; jamais dans l’histoire du monde la mortalité dans les hôpitaux n’a été aussi petite, et jamais de tels établissemens n’échappèrent d’une manière aussi complète aux maladies qui d’ordinaire s’engendrent dans leur enceinte[1]. »


Ces hôpitaux américains ont une tout autre physionomie que les établissemens français. Chez nous, l’hôpital est une autre forme de la caserne : même discipline, même uniformité, même tristesse. Malade ou bien portant, le soldat est toujours soldat. L’hôpital américain est un prolongement du foyer domestique. C’est la famille, c’est la société qui s’emparent du blessé, et qui l’entourent de leurs soins. Le soldat n’est plus un numéro de régiment, c’est un homme dont on cherche à satisfaire tous les besoins et tous les désirs légitimes. Ce caractère particulier de l’hôpital américain tient à deux causes. D’une part, c’est le médecin qui commande et qui subordonne tout à la guérison ; de l’autre, c’est une femme, et presque toujours une femme du monde, qui a la direction des garde-malades, de la lingerie et de la cuisine. Auprès du lit du soldat, la

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier, p. LXV.