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appartient encore à l’immense province de Sien-Tong, et Muong-You, que nous avions pris pour un royaume séparé, en dépend également. Dans la ville de Sien-Tong, ainsi que nous le savions déjà, un grand mandarin birman règne à côté du roi ; il a sous ses ordres deux de ses compatriotes qui remplissent les mêmes fonctions, l’un auprès du prince de Muong-You, l’autre auprès de celui de Muong-Yong. C’est à celui qui gouverne ce dernier pays que nous allions devoir tous nos embarras. L’usage, pour les étrangers d’importance, est de se présenter dès leur arrivée au sala, le Birman vient à leur rencontre en grande cérémonie, et là les explications s’échangent, les papiers se vérifient. Nous l’ignorions, et les sbires étaient envoyés pour nous l’apprendre. Le rapport de ces agens exaspéra leur chef, et le lendemain, quand nous voulûmes remplir les formalités nécessaires, celui-ci, profondément blessé, prenait des airs importans et hautains. Il examina nos papiers, parmi lesquels il chercha vainement un passeport de l’empereur des Birmans, et ce fut avec un sourire acéré comme un acier tranchant qu’il nous déclara que son devoir était de nous retenir. Il allait faire prendre les ordres de son supérieur de Sien-Tong. Celui-ci nous avait, il est vrai, autorisé d’abord à passer ; mais une lettre de lui que nous primes pour une invitation polie de nous rendre à la capitale nous était, on s’en souvient, parvenue à Siam-Léap. Or nous avions mal compris, et notre interlocuteur mous dit clairement que les désirs d’un homme qui a l’honneur de diriger pour le gouvernement d’Avalés affaires d’une province, — ces désirs fussent-ils d’ailleurs exprimés avec la courtoisie Birmane, — sont des ordres qu’il est téméraire d’éluder. Cependant chaque cadeau paraissait faire sur les résolutions de notre adversaire l’effet d’un coup de bélier sur une muraille. Nous pûmes espérer qu’il reviendrait sur son interprétation et rabattrait quelque chose des trois semaines que nous étions menacés de passer chez lui. Le lendemain, il était revenu à son idée de la veille ; à la suite d’une longue discussion, il sembla l’abandonner de nouveau ; mais, saisissant une autre corde de son arc, il dit à M. de Lagrée qu’il ne pouvait le laisser partir sans annoncer notre arrivée à son collègue de Muong-You, précaution inutile, puisque celui-ci nous avait déjà autorisés à entrer sur son territoire. Nous ne doutions pas que cette observation décisive n’eût terminé le débat. C’était mal connaître notre adversaire ; il objecta que la démarche qu’il voulait faire avait pour but de se conformer à l’usage, et n’entraînerait d’ailleurs pour nous qu’un retard de quelques jours. Il fallut se soumettre et attendre une lettre de Muong-You. Elle arriva enfin, mais accablante. Il est incroyable, nous disait-on, qu’invités à vous rendre à Sien-Tong, vous ayez laissé Muong-You de côté ; nous n’admettrons pas chez nous des