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gens aussi mal appris. — On n’en avait pas moins reçu nos cadeaux. Il était évident que des ordres avaient été expédiés de Sien-Tong même. Après avoir accueilli notre requête, le mandarin birman timoré avait sans doute réfléchi : de là l’invitation à passer chez lui pour juger nos allures et mieux pénétrer nos intentions, de là enfin l’ordre de nous arrêter. L’heure des conjectures était passée ; M. de Lagrée prit sur-le-champ le parti d’aller à Sien-Tong. Il demanda de l’accompagner à M. Thorel, ardent botaniste qui eût herborisé jusque sous le poignard des Birmans, et emmena en outre quelques hommes de l’escorte. La petite caisse d’objets européens ne fut pas oubliée. Nous avions déjà fait parvenir des présens au roi ; mais, ignorant l’existence et surtout l’importance du mandarin birman, il n’y avait rien eu à son adresse, et cette négligence involontaire avait certainement contribué à le mal disposer. La résolution hardie de M. de Lagrée nous forçait de prolonger notre séjour à Muong-Yong. Nous mîmes cette circonstance à profit pour démêler les élémens principaux dont se compose la population du Laos birman, et nous rendre un compte plus exact de leur situation respective. Jusqu’à présent, nous avions marché un peu à l’aventure, ignorant la constitution politique de ces contrées et prenant des provinces pour des royaumes. A l’aide de renseignemens précis recueillis à Muong-Yong, la lumière se fit, au moins sur ce point-là.

La Chine, qui a jadis exercé sur ces contrées un pouvoir effectif, a perdu du terrain de ce côté. Des trois anciens royaumes laotiens où domine aujourd’hui la puissance birmane, le Céleste-Empire, auquel ont échappé Sien-Tong et Muong-Lem, ne conserve même pas à Sien-Hong, ainsi que nous le verrons plus loin, assez d’influence pour faire asseoir ses candidats sur le trône. Non contens de l’immensité de leurs domaines, les rois de Siam ont voulu les étendre encore ; repoussés par le roi de Sien-Tong, ils ont laissé depuis 1852 le champ libre à l’empereur des Birmans. Celui-ci envoie auprès des souverains laotiens des représentans jouant le rôle des résidens anglais dans l’Inde. Le grand mandarin birman chargé de régir toutes les provinces laotiennes tributaires, et de la surveillance duquel relèvent tous les autres, réside à Muong-Lem, la plus septentrionale des trois anciennes principautés laotiennes. Celui de Sien-Tong est le second. De ce dernier, comme je l’ai dit, dépendent des mandarins inférieurs qui surveillent le prince de Muong-Yong, chez lequel nous étions, et celui de Muong-You, que nous allions rencontrer bientôt. C’était une chose triste à voir que la pâle figure du soi indigène, relégué à l’arrière-plan le plus obscur de la scène, tandis que le Birman s’agitait, étalait son cortège militaire avec la brutale insolence d’un conquérant. Sa conduite rappelait celle du