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nuances sont admirablement fondues. Nous jouissons délicieusement de ce spectacle, car nous en jouissons sans fatigue. — Nos porteurs de bagages nous attendaient au point où nous devions débarquer. Nous couchâmes dans une case abandonnée et ouverte à tous les vents, au pied des montagnes, dont l’ascension commença le lendemain. Le sentier on couronnait ordinairement le faîte, et lorsqu’il descendait parfois dans des vallées peu profondes, c’était pour remonter bientôt après vers les sommets. Autour de nous, et à perte de vue, rien que de puissantes ondulations ; on aurait dit des sillons immenses semblables à ceux que la tempête creuse au sein des mers. Les jeux de lumière avec leurs effets changeans, suivant les nuages qui passaient sous le soleil, ajoutaient à l’illusion en donnant à la crête de ces houles figées une mobilité apparente. De nombreux sentiers se croisaient dans les montagnes, et celui que nous suivions, quoiqu’il fût la route ordinaire de Muong-Long, était envahi par les herbes, à peine tracé d’ailleurs et point entretenu. Si nous apercevions au contraire un chemin large et soigné comme une allée de parc, nous étions assurés qu’il conduisait à un village de sauvages. Ces bourgades, bâties et comme suspendues sur les pentes, sont habitées par une population laborieuse qui vit de riz de forêt, amène chez elle les eaux nécessaires à l’irrigation par de longs canaux de bambou, ne se mêle point aux civilisés de la plaine, dont elle ne parle pas la langue, enfin qui se suffit à elle-même, se retranche dans son orgueil et se fixe sur les hauteurs.

Après de longues heures de marche dans les montagnes, comme toujours nous rencontrons la plaine, et, comme toujours aussi, nous apercevons, groupées au bord des cours d’eau qui la traversent, les habitations de ceux que je continuerai d’appeler Laotiens. D’immenses cultures se développent devant nous, et le vert velouté des rizières caresse le regard. De nombreux villages se révèlent par les pignons blancs de leurs pagodes à demi cachées dans des bouquets de grands arbres. La vallée est traversée par le Nam-Ga, rivière large et rapide que nous passons sans barques en nous raidissant contre un courant assez fort pour renverser un de nos porteurs. Nous dirigions notre marche sur une pyramide dont la pointe se montre au loin. Elle est bâtie sur un monticule AU pied duquel s’étend Muong-Long.

Pour pénétrer dans ce chef-lieu de district, nous traversons le marché-entre deux rangées de cases ; elles sont nombreuses des deux côtés de la route et annoncent un village de quelque importance. Je n’essaierai pas de dire notre surprise en apercevant un beau pont en pierre jeté sur un affluent du Nam-Ga. Même à la belle époque de leur patrie, quand ils élevaient les magnifiques monumens d’Angcor