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après quoi le roi nous ferait l’honneur de nous recevoir en personne.

Les principaux fonctionnaires, au nombre de douze, étaient rangés de chaque côté du premier ministre, qui trônait sur une descente de lit. Ils étaient coiffés d’un turban et vêtus soit d’une veste blanche et d’un large pantalon, soit d’un peignoir en calicot et d’un ample langouti aux couleurs birmanes, ceignant les reins et se ramenant sur l’épaule. A la gauche du premier ministre siégeait le mandarin birman, une place vide à la droite était occupée ordinairement par le mandarin chinois ; mais celui-ci, nous l’avons vu, était en mission à Muong-La. M. de Lagrée fit connaître à cette assemblée que nous ne voulions qu’une chose, partir le plus vite possible. On procéda dès lors à la vérification de nos papiers, dont un Chinois donna lecture après que le peuple se fût accroupi par respect. Ils furent trouvés en règle, et l’on nous entretint d’une affaire qui paraissait des plus graves. Il s’agissait d’énumérer et de montrer d’avance aux membres du conseil les présens que nous avions l’intention d’offrir au roi. Nos ressources sous ce rapport étaient singulièrement diminuées ; c’était la première fois d’ailleurs qu’on émettait une pareille prétention, qu’on la soutenait surtout avec une aussi inconvenante insistance. M. de Lagrée refusa de répondre à cette question. La discussion dura deux heures, après lesquelles le roi ayant fait dire qu’il nous attendait, nous nous dirigeâmes vers le palais. On avait travaillé pendant plusieurs jours, à en nettoyer les abords. Le fumier qui remplissait la grande cour d’honneur avait été raclé, mais le temps avait manqué pour l’enlever. Nous passâmes entre une double haie d’hommes déguenillés, armés les uns de fusils à silex, les autres de lances ou d’instrumens indéfinissables de chasse ou de guerre. Nous reconnaissons dans les rangs nos propres porteurs de bagages, qui, momentanément enrôlés dans la garde royale, avaient échangé le bambou du portefaix contre la lance du guerrier. Cela diminua beaucoup l’impression de respectueuse terreur que cet étalage militaire était destiné à produire sur nous. Le palais est une misérable case mal couverte ; il a été décoré avec toutes les tentures qu’a pu fournir le garde-meuble. Quelques tapis chinois ornés de broderies en relief empêchent de voir le jour à travers les bambous mal joints des murailles. De chaque côté de l’estrade qui figure le trône, des gardes accroupis portent des sabres à fourreau doré. Suivant l’usage, la poignée repose à terre et la lame sur l’épaule du soldat. Le roi, qui se fit longtemps attendre, sortit enfin de -derrière un rideau. Il portait un costume indescriptible. Sa tête était couverte d’un chapeau chinois doré et orné de clochettes, rappelant, à s’y méprendre, l’instrument de musique qui est en Europe l’accompagnement