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n’était pas encore épuisé ; pendant neuf siècles, le souffle issu de ce livre avait poussé dans toutes les directions les peuples qui s’y étaient livrés, à quelque race d’ailleurs qu’ils appartinssent. Lorsque la loi musulmane faisait naître en Espagne, dans le sud de l’Asie et en Égypte des centres d’une civilisation brillante, les Osmanlis créaient sur le Bosphore un empire central dont l’action dominait à la fois l’Europe et l’Asie. Là siégeait le successeur reconnu de Mahomet, le vrai commandeur des croyans ; mais depuis trois siècles la société musulmane redescend la courbe de ses destinées. A l’époque où commença cette décadence, le principe, sinon chrétien, du moins catholique, dépassait, lui aussi, son point culminant. Soliman, qu’on a surnommé le Magnifique, fut à peu près contemporain de la réforme. Il y avait donc moins de vie dans le mahométisme que dans le catholicisme romain ; car si nous voyons, leur déclin commencer en même temps, il ne faut pas perdre de vue que le catholicisme était né au moins quatre siècles avant la venue de Mahomet. La chute de la société musulmane a donc été plus rapide que celle de l’église romaine.

Seulement ce n’est ni l’indifférence, ni l’immoralité publique, ni même la vétusté qui font périr l’empire des papes. Au temps où ces derniers étaient au maximum de leur pouvoir, naissait chez nous une force nouvelle qui grandissait malgré l’église, et autour de laquelle sont venus se grouper tous les élémens sociaux à mesure qu’ils se sont détachés de la foi romaine ; cette puissance nouvelle, c’est la science, qui nous a dévoilé les secrets et soumis les forces de la nature. Les sociétés musulmanes, après avoir recueilli les monumens de la science antique, n’y ont pour ainsi dire rien ajouté : nulle méthode nouvelle, nul principe nouveau, nulle découverte majeure ; point d’arts renouvelés, d’industrie savante, de métiers perfectionnés. Ces sociétés ont continué de vivre sur un livre qu’elles ne comprennent plus et avec les vieilles routines d’une industrie empirique. Tous les peuples de l’Europe, à des degrés divers, sont entrés dans le courant de la science ; l’empire ottoman est resté en dehors. Aujourd’hui l’intérêt principal de la question d’Orient est de savoir s’il regagnera en quelques années le terrain qu’il a perdu, ou s’il périra avant d’avoir pu reprendre son rang. Je voudrais examiner quelles sont les causes qui agissent actuellement pour ranimer l’empire des Osmanlis ou pour précipiter sa ruine, et à quelles conditions celle-ci semble pouvoir être conjurée ou retardée. Comme ces causes sont les unes extérieures, les autres intérieures, je diviserai cet examen suivant la même distinction.