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bien jugé. Nous ne ferons qu’une seule réflexion. Les considérations de race et de sang, qui étaient jadis décisives en histoire, ont beaucoup perdu de leur force. Des substitutions qui eussent été impossibles sous l’ancien régime peuvent être devenues possibles. Le caractère des familles, qui était autrefois inflexible, si bien qu’un Bourbon par exemple ne pouvait convenir qu’à un rôle déterminé, est maintenant susceptible de bien des modifications. Le rôle historique et la race ne sont plus deux choses inséparables. Qu’un héritier de Napoléon Ier accomplisse une œuvre en contradiction avec l’œuvre de Napoléon Ier, il n’y a en cela rien d’absolument impossible. L’opinion publique est tellement devenue le souverain maître que chaque nom, chaque homme n’est que ce qu’elle le fait. Les objections a priori que certaines personnes élèvent contre la possibilité d’un avenir constitutionnel avec la famille Bonaparte ne sont donc pas décisives. La famille capétienne, qui devint bien réellement la représentation de la nationalité française et du tiers-état, fut à l’origine ultra-germanique, ultra-féodale.

De même que l’architecture fait un style avec des fautes et des inexpériences, de même un pays tire tel parti qu’il veut des actes où la fatalité l’a poussé. Nous jouissons des bienfaits de la royauté, quoique la royauté ait été fondée par une série de crimes; nous profitons des conséquences de la révolution, quoique la révolution ait été un tissu d’atrocités. Une triste loi des choses humaines veut qu’on devienne sage quand on est usé. On a été trop difficile, on a repoussé l’excellent; on reste dans le médiocre par crainte de pire. La coquette qui a refusé les plus beaux mariages finit souvent par un mariage de raison. Ceux qui ont rêvé la république sans républicains se laissent aller de même à concevoir un règne de la famille Bonaparte sans bonapartistes, un état de choses où cette famille, débarrassée de l’entourage compromettant de ceux qui ont fondé son second avènement, trouverait ses meilleurs appuis, ses conseillers les plus sûrs dans ceux qui ne l’ont pas faite, mais l’ont acceptée comme voulue par la France et susceptible d’ouvrir quelque issue à l’étrange impasse où nous a engagés la destinée. Il est très vrai qu’il n’y a pas un exemple de dynastie constitutionnelle sortie d’un coup d’état. Des Visconti, des Sforza, tyrans issus de discordes républicaines, ne sont pas l’étoffe dont on fait des royautés légitimes. De telles royautés ne se sont fondées que par la particulière dureté et hauteur de la race germanique aux époques barbares et inconscientes, où l’oubli est possible et où l’humanité vit dans ces ténèbres mystérieuses qui fondent le respect. Fata viam invenient… Le défi étrange que la France a jeté à toutes les lois de l’histoire impose en de telles inductions une extrême réserve. Montons plus