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Sur les frontières de terre, la France ne semble avoir avec la Turquie aucun intérêt prochain à régler. Cependant la question des principautés danubiennes intéresse en réalité l’Europe entière, car s’il se forme sur les limites occidentales de l’empire ottoman de petits états destinés à vivre, il leur arrivera, une fois séparés de la Turquie, de végéter pauvrement, comme ils le font presque déjà, ou de tomber sous l’empire d’une grande puissance voisine qui serait l’Autriche ou la Russie. Or les progrès de la Russie dans cette direction ne peuvent être tolérés par les puissances européennes, car la vallée du Danube devient une des deux grandes voies du commerce dont l’Europe a le plus besoin. Si la Russie l’occupait, elle annulerait Constantinople, affamerait l’Allemagne et l’Autriche, et, s’étendant facilement jusqu’à Salonique, pourrait gêner même la navigation de la Méditerranée.

En cela, la politique prussienne est absolument confondue avec celle de l’Autriche, ce que ne semble pas avoir aperçu l’auteur du Testament politique. Il ne faut pas beaucoup de perspicacité pour comprendre pourquoi les chefs et les représentans de ces puissances se sont donné rendez-vous dans le Levant, et pourquoi elles semblent aujourd’hui si bien d’accord soit entre elles, soit avec l’Italie et la France. Cet accord, on pouvait facilement le voir venir dès le jour même de Sadowa, et plus tôt peut-être : il y a eu un moment où M. de Beust a semblé l’ennemi déclaré de M. de Bismarck alors que les gens bien informés savaient qu’il agissait d’accord avec lui. Aujourd’hui l’accord est visible et n’est plus un mystère pour personne. La présence d’un Hohenzollern sur le trône princier de Roumanie, acceptée par la Turquie, n’est point mal vue de l’Autriche, pas plus que de la France ni de l’Angleterre.

Il faudra donc que les petits états détachés de la Turquie ou encore unis à elle par le faible lien de la vassalité cherchent un appui chez les peuples germaniques, s’ils ne veulent être absorbés par la Russie. L’expérience ne tardera pas à se faire, ou, pour mieux dire, elle se fait déjà sur plusieurs points : j’en citerai seulement deux, dont l’un attire en ce moment l’attention de l’Europe, tandis que l’autre est encore caché dans l’ombre. Le premier document qui dans les troubles de Dalmatie a décelé une main étrangère, c’est la fameuse proclamation aux « vautours des montagnes, » signée par Luka Vukalovitch. Cette pièce, en style oriental, a fait illusion pendant deux jours, et quand on est venu à la regarder de plus près, on y a reconnu l’œuvre d’un lettré panslaviste, d’un de ces mêmes « savans » qui faisaient naguère la célèbre exposition des « frères slaves » en figures de cire. Depuis que les troupes autrichiennes ont commencé à prendre le dessus, les preuves de la