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son empire, il périra comme roi et comme pape à la fois. De quoi se meurt le pape qui règne à Rome ? De son obstination vis-à-vis des principes de justice dont le monde moderne a fait sa base. Si le peuple des états romains renfermait beaucoup de protestans, d’Arabes ou de Juifs chargés de nourrir des seigneurs catholiques dans le luxe, la fainéantise et l’immoralité, croit-on que le pape de Rome y serait encore en ce moment ? Le progrès des nations est lié à la chute des théocraties, parce que celles-ci ont pour conséquence l’oppression des populations dissidentes, le règne de l’injustice, le triomphe de la force d’abord, puis de la ruse et de l’intrigue. Que les réformes demandées par l’Europe et consenties par le sultan se réalisent, il aura détruit le vieux parti turc, qui est le corps mort attaché à sa personne ; mais du même coup il aura effacé le caractère théocratique de son pouvoir, et par cela même il l’aura restauré. Il y réussira peut-être, lui qui n’a jamais répondu à personne un non possumus, et ce ne sera pas un des spectacles les moins intéressans du siècle où nous sommes, ni l’un des moindres triomphés de la civilisation.

L’indifférence politique à l’égard des religions est du reste plus aisée à pratiquer pour le sultan que pour le pape. Avant d’être souverain pontife, le pape est nommé par une oligarchie tout ultra-montaine, qui le tient ensuite dans sa dépendance. Le sultan est sultan par sa naissance, et ne dépend ni des ulémas ni du vieux parti turc : il peut donc être libéral sans en devoir compte à personne. Quand il aura remporté la victoire pour laquelle il semble lutter, toute l’Europe civilisée applaudira, la Russie se trouvera désarmée ; les temples chrétiens retourneront aux chrétiens, la liberté religieuse et l’égalité des cultes seront une réalité ; le Koran, l’Évangile et la Bible seront forcés de se tolérer entre eux, et la Turquie devra au sultan une paix que nous ne possédons pas encore, que l’église romaine ne peut souffrir, et pour laquelle les peuples de l’Europe ont donné beaucoup de leur sang. Toute personne ayant quelque peu vécu en Orient sait que tel était l’idéal de Fuad-Pacha. On assure que son successeur Aali s’efforce aussi de l’atteindre.

C’est beaucoup d’avoir compris que l’instruction publique est la plus utile de toutes les réformes projetées, et c’est un pas important d’avoir commencé à la réaliser. L’auteur du Testament politique s’est imaginé que les médrésés, c’est-à-dire les écoles musulmanes, dont le Koran est la base, pouvaient servir de point de départ à une organisation nouvelle de l’enseignement. Cette idée seule prouverait au besoin que ce document est apocryphe, car il n’est pas possible qu’un homme tel que Fuad, qui connaissait bien