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mais très profonde, qui n’est en réalité que le déversoir du grand lac de Ypoa, lequel se développe sur plusieurs lieues de longueur dans l’intérieur des terres, et forme avec les marais qui l’avoisinent une barrière infranchissable. De plus, et à très peu de distance au-dessus de l’embouchure du Pykysyry, le fleuve décrit un coude très accentué, presque à angle droit ; la position est entourée ainsi sur trois de ses faces par des obstacles très sérieux. La seule route qui communique librement avec l’intérieur n’est pas à la portée des alliés, qui n’auraient pu l’atteindre que par de très longs détours, et en cas de revers elle offre encore aux Paraguayens un moyen de retraite assuré. Au point de vue militaire, la position est donc très forte. Lopez, avec son activité ordinaire, s’empresse de la couvrir d’ouvrages qu’il garnit d’une centaine de pièces de canon ; il fait construire notamment de puissantes batteries à Angostura et à Villeta pour défendre l’entrée du Pykysyry et celle du Buey-Muerto, l’un des bras du Paraguay.

À cette époque, l’armée du maréchal Lopez pouvait être estimée à 10,000 hommes, en grande partie de nouvelle levée. S’étant rapprochée de ses magasins et du pays habité, elle souffrait moins du manque de vivres qu’elle n’en avait souffert dans le sud, mais les munitions lui manquaient. On n’avait pas pu approvisionner les pièces à cent coups, l’on avait eu la plus grande peine à compléter quatorze paquets de cartouches par homme, tant la poudre et les projectiles étaient devenus rares. L’armée alliée au contraire était convenablement approvisionnée ; mais de 50,000 hommes, qu’elle comptait au mois de janvier, elle avait été réduite par les maladies et par les combats à 32,000, les trois contingens compris. C’étaient naturellement les Brésiliens qui, étant de beaucoup les plus nombreux, avaient fourni le plus grand nombre de victimes. Nous ne saunons en établir le chiffre ; nous savons cependant par un discours du ministre de la guerre aux députés à Rio qu’au mois d’août 1868 le Brésil avait déjà expédié à l’armée d’opérations 84, 209 hommes. Combien survivaient ?

Les hostilités recommencèrent avec le mois de décembre, et cette fois elles furent poussées par le maréchal Caxias avec une remarquable vigueur. L’armée alliée, s’étant élevée par la route du Grand-Chaco, sur la rive droite du Paraguay, passa le fleuve en un lieu nommé San-Antonio, à 10 kilomètres environ au-dessus de Villeta, prenant ainsi à revers les positions occupées par Lopez sur le Pykysyry. Le 5 décembre, elle vint attaquer les avant-postes de Villeta et s’engagea dans une série de combats sanglans qui durèrent jusqu’au 27. Tous ces combats tournèrent à l’avantage des alliés, mais en leur coûtant fort cher, car ils y perdirent encore