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LA GUERRE DU PARAGUAY.

8 ou 10,000 hommes, tués ou blessés. Quant aux Paraguayens, qui se défendirent pendant ces vingt jours avec un courage et un acharnement remarquables, ils furent complètement défaits ; il n’échappa que des fuyards et des hommes isolés. Lopez, qui avait juré à ses soldats de vaincre ou de mourir avec eux dans cette crise suprême, s’enfuit avant la consommation du désastre, abandonnant aux vainqueurs ses bagages, ses voitures, ses papiers, et jusqu’à plusieurs de ses esclaves du sexe féminin. Toutefois, avant de tourner la tête de son cheval vers le Cerro-Leon, il avait pris sa revanche à sa manière contre les revers de la fortune. Toujours en proie aux rêves de conspirations qui l’obsédaient, il ne partit pas sans avoir ordonné plusieurs exécutions nouvelles, entre autres celle de son frère Benigno.

On a peine à comprendre comment le maréchal Caxias, qui le 27 décembre, jour du combat décisif d’Ita Yvate, comme disent les Guaranis, ou de Lomas Valentinas, comme disent les Espagnols, avait sous la main 3 ou 4,000 hommes de cavalerie, ne fit pas poursuivre le maréchal Lopez. Peut-être, s’étant emparé du cours du fleuve et de tous les points fortifiés par l’ennemi, ayant détruit et dissipé son armée, ayant pris ou anéanti la plus grande partie de son matériel, le maréchal Caxias était-il convaincu que la guerre était finie. Toujours est-il qu’il s’empressa de le proclamer par un ordre du jour rendu public, et que, se contentant de faire une entrée solennelle à l’Assomption (2 janvier 1869), il s’embarqua pour Rio sans même attendre l’autorisation de son gouvernement.


VI.

Si le maréchal Caxias s’attendait à être accueilli comme un triomphateur, il fut bien déçu lorsqu’il débarqua, le 11 février 1869, à Rio Janeiro. Sans être blessante, la réception fut assez froide. L’opinion, et elle ne se trompait pas, refusait de croire que la guerre fût en effet terminée. Le bon sens général se rendait bien compte qu’après tout, et malgré tant de victoires, on était seulement maître du cours du fleuve, que l’intérieur du pays n’était ni occupé, ni même entamé, que dans ces circonstances l’opiniâtreté du maréchal Lopez, aidée par le dévouement extraordinaire de la population, trouverait encore de nouvelles ressources pour recommencer la lutte. Aussi, après quelques jours d’hésitation, il fut décidé qu’on reprendrait les opérations actives, et qu’on irait jusqu’au bout. C’est la troisième phase de la guerre.

Dans cette situation des esprits, le choix du général à nommer n’était pas chose moins importante au point de vue politique qu’au