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en avant, dans les défilés d’Ascurra, faisant face au chemin de fer, dont ils étaient séparés par un grand lac qui ne permettait pas de les aborder de front. Sa droite, du côté de l’Assomption, était défendue par les esteros et les arroyos qui sont répandus entre le Peribebuy et le Manduvira, deux affluens de la rive gauche du Paraguay ; sa gauche se perdait dans des montagnes à peu près désertes et couvertes de forêts vierges. Au point de vue purement militaire, la position était très forte, mais elle était située dans des localités d’où il était fort difficile de tirer des vivres. Quoi qu’il en soit, le maréchal Lopez, oublié en quelque sorte par les alliés, avait pu réunir encore autour de lui une douzaine de mille hommes et environ 80 pièces de canon, lorsque le nouveau général en chef vint prendre possession de son commandement. Depuis quatre mois, et malgré la proximité des lieux, on avait laissé le dictateur libre dans ses mouvemens et dans ses opérations.

C’était une nouvelle campagne à faire et dans des conditions tout autres. Il n’y avait plus à compter sur les services que la flotte avait jusque-là rendus à l’armée, la transportant, la nourrissant, la convoyant, évacuant les malades et les blessés, frayant si bien la route que les places fortes de l’ennemi tombaient presque d’elles-mêmes quand les bâtimens cuirassés les avaient franchies. Désormais, son rôle se bornerait à surveiller les passages du Paraguay pour empêcher Lopez de s’échapper par le désert du Grand-Chaco, et ce serait à peu près tout, car les navires que l’on pouvait employer à ce service étaient d’un trop grand tirant d’eau pour remonter les affluens du fleuve. Afin de déloger Lopez de sa position nouvelle et de le poursuivre, il fallait se lancer dans l’intérieur, dans des pays qui étaient à peine habités, quand ils n’étaient pas complètement déserts, dont on n’avait ni cartes, ni description exacte, desquels on savait seulement qu’ils contenaient des marais impénétrables, de nombreux cours d’eau et des forêts vierges où il serait encore plus difficile d’avancer et de vivre que de vaincre l’ennemi.

Cependant il y avait à tirer parti des 55 ou 60 kilomètres de chemin de fer que Lopez avait fait construire autrefois, mais que maintenant, pour les besoins de sa défense, il s’occupait à ruiner. Lorsqu’on s’en serait rendu maître et qu’on l’aurait réparé, le chemin de fer allait devenir la base d’opérations de l’armée. Toutefois il fallait du temps, et il en fallait aussi pour organiser un service de transports qui suivît la troupe, pour recevoir les renforts et les munitions qui manquaient. À cet égard, on allait être encore très contrarié par une circonstance exceptionnelle. L’année 1869 se signalait par une sécheresse extraordinaire dans tout le bassin du