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Paraguay, des espaces où ni l’un ni l’autre n’a jamais pénétré, des forêts et des montagnes dont les cimes élevées, connues sous le nom de Cordillères de Macaraju, servent de point de partage entre les deux vallées du Paraguay et du Parana. Négligées jusqu’ici par la civilisation, elles abritent encore dans leurs gorges ou sous leurs ombrages quelques rares tribus d’Indiens indépendans. L’une de ces tribus, les Caguays, auraient, dit-on, donné l’hospitalité à Lopez et à ceux qui sont restés attachés à sa fortune. Les Indiens l’aideront-ils à traverser le grand désert ou bien à faire quelques tentatives sur le territoire paraguayen ? C’est ce qu’il nous est impossible de dire ; mais ce que nous croyons, c’est que, dépourvu comme il est, ses tentatives ne seraient pas à redouter. Ce que nous savons, c’est que, d’après les dernières nouvelles, en date du 10 décembre 1869, les autorités présentes sur les lieux regardent la guerre comme terminée de fait, c’est que l’on renvoie chez elles les troupes alliées en laissant seulement quelques bataillons à la disposition du gouvernement provisoire pour l’assister dans son œuvre de réorganisation du pays ; c’est enfin qu’à Rio de Janeiro il était fort question de rappeler le comte d’Eu, dont la présence au Paraguay ne semble plus avoir d’objet.

Le jeune prince devait couronner cette laborieuse campagne par une victoire d’un autre genre qui nous touche plus encore que ses succès militaires. Le 12 septembre 1869, étant en cours d’opérations, il adressait au gouvernement provisoire de l’Assomption, constitué depuis le 15 août seulement, la lettre suivante :


« Messieurs, sur plusieurs points du territoire de cette république que j’ai parcourue à la tête des forces brésiliennes en opérations contre le dictateur Lopez, il m’est arrivé plusieurs fois de rencontrer des individus se disant esclaves des autres, et nombre d’entre eux se sont adressés à moi pour me demander de leur accorder la liberté et de leur fournir un véritable motif de s’associer à la joie qu’éprouve la nation paraguayenne en se voyant affranchie du cruel gouvernement qui l’opprimait. Leur accorder l’objet de leur demande eût été pour moi une douce occasion de satisfaire les sentimens de mon cœur, si j’avais eu le pouvoir de le faire ; mais le gouvernement provisoire, — dont vos excellences sont chargées, — étant heureusement constitué, c’est à lui qu’il appartient de décider toutes les questions qui concernent l’administration civile du pays. Je ne puis donc mieux agir que de m’adresser à vous, comme je le fais, pour appeler votre attention sur le sort de ces infortunés dans un moment où il n’est question que d’émancipation pour tout le Paraguay ; si vous leur accordez la liberté qu’ils demandent, vous romprez solennellement avec une institution qui a été malheureusement