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LA GUERRE DU PARAGUAY.

léguée à plusieurs peuples de la libre Amérique par des siècles de despotisme et de déplorable ignorance. En prenant cette résolution, qui influera peu sur la production et les ressources matérielles de ce pays, vos excellences inaugureront dignement un gouvernement destiné à réparer tous les maux qu’a causés une longue tyrannie, et à conduire la nation paraguayenne dans les-voies de cette civilisation qui entraîne les autres peuples du monde. Que Dieu garde vos excellences.

« Gaston D’orléans. »


À cette simple et noble lettre, le gouvernement provisoire répondait, le 2 octobre suivant, par un décret en quatre articles qui ordonnait l’abolition immédiate et complète de l’esclavage sur tout le territoire de la république. C’était une victoire morale remportée par l’humanité sur la barbarie, et qui ne valait certes pas moins que les victoires remportées par la force du canon. Il y avait même plus, c’était un engagement pris vis-à-vis du Brésil, où il y a encore plus de 1,800,000 esclaves, envers qui le prince s’oblige solennellement. Souhaitons qu’il réussisse bientôt dans cette œuvre généreuse pour l’honneur même de son pays d’adoption.

Nous avons essayé de retracer l’histoire de cette guerre avec toute l’impartialité dont nous sommes capable, et nous n’avons certainement pas cherché à dissimuler l’immensité des sacrifices qui ont été imposés à tous les belligérans ; mais, comme il n’appartient pas à la raison humaine d’aller jusqu’à l’extrémité du bien, ni à la folie des hommes d’aller jusqu’à l’extrémité du mal, nous avons le ferme espoir que ces sacrifices, si douloureux qu’ils aient été, ne resteront pas sans compensations. Au point de vue politique, c’est un fait important que de voir quatre états, qui jusqu’alors s’étaient disputé la suprématie de ces contrées, contraints de s’entendre pour créer entre eux un équilibre qui ne se calcule plus selon le degré de puissance ou de richesse, mais selon les droits de chacun, sans acception de race ou de nombre, de force ou de crédit, si bien que les vainqueurs d’aujourd’hui sont non-seulement obligés, par le traité d’alliance qu’ils ont conclu, de respecter la souveraineté, l’indépendance et l’autonomie du vaincu, mais même de défendre par les armes et pendant cinq ans au moins les droits de l’ennemi qu’il leur a fallu réduire. En ce sens, nous croyons pouvoir dire qu’il est né dans l’Amérique du Sud un ordre politique nouveau, comme il va bientôt y naître un ordre social meilleur par suite de l’abolition définitive de l’esclavage. C’est la liberté sous toutes ses formes, pratiquée dans toutes les directions où s’exerce l’activité de l’âme humaine, qui désormais doit mener le monde.

Xavier Raymond.