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REVUE. — CHRONIQUE.

sans cesse à dominer dans ses conseils, dans ses préoccupations. La crise qui vient de se dénouer existe en germe, à vrai dire, depuis le jour où, par l’adoption du dualisme et par les satisfactions complètes données à la Hongrie, le reste de l’empire s’est trouvé aggloméré sous ce nom bizarre de Cisleithanie avec un parlement particulier, avec un ministère distinct. La réconciliation de la Hongrie était assurément une victoire de la raison politique. La combinaison inaugurée par M. de Beust désintéressait les Hongrois, et pour l’Autriche elle mettait une force là où il y avait une faiblesse. Seulement la lutte de races et de nationalités qui divisait l’empire jusque-là se trouvait transportée désormais dans la Cisleithanie, où le pouvoir central résidant à Vienne était placé en présence des autres populations, — Tchèques, Polonais, Slovènes, Dalmates, Tyroliens, — revendiquant également leurs droits, réclamant tout au moins une certaine parité avec les Allemands. De là un conflit inévitable de tendances et de politiques qui s’est retrouvé dès l’origine dans le premier ministère cisleithan, né sous l’empire de la constitution de décembre 1867. Ce ministère, habilement composé pour faire face à une situation parlementaire toute nouvelle, a réalisé sans doute des réformes hardies et utiles, il a fait une Autriche libérale. Pour la question spéciale des rapports du pouvoir central avec les populations diverses de l’empire, il n’a rien résolu. Les Tchèques ont quitté depuis longtemps le parlement, et restent toujours dans une expectative hostile, les Tyroliens se sont retirés récemment du Reichsrath ; les Polonais n’ont pas abandonné la partie, dans la confiance obstinée de voir aboutir une « résolution » par laquelle ils affirment leurs droits. Aujourd’hui comme il y a deux ans, il s’agit pour l’Autriche de déterminer la politique à suivre, la mesure des concessions qu’on peut faire à toutes ces provinces agitées et mécontentes.

Le problème n’est pas facile à résoudre. C’est justement sur ce point que le ministère cisleithan se divisait dès l’ouverture de la session du Reichsrath, il y a deux mois. Cinq membres du cabinet, les docteurs, remettaient à l’empereur un mémoire où ils se prononçaient pour la politique centraliste. MM. Giskra, Hasner, Plener, Herbst, Brestl, insistaient sur la nécessité de se rattacher à cette politique et de mettre plus d’unité dans le ministère. Trois autres ministres, le comte Taaffe, président du conseil, le comte Potocki et M. Berger, remettaient de leur côté à l’empereur un second mémoire où ils inclinaient visiblement vers des concessions nécessaires, pour un compromis avec les populations non allemandes. À n’écouter que leur inspiration personnelle, l’empereur et M. de Beust auraient été plutôt favorables aux propositions de la minorité du cabinet. M. de Beust, qui, comme chancelier de l’empire, plane un peu au-dessus de ces orages ministériels et ne peut s’inspirer que d’un intérêt supérieur, M. de Beust a toujours été pour une conciliation raisonnable ; il a même tenté des démarches auprès des Tchèques,