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Après avoir fait une ample provision d’eau, car pendant cinq jours elle ne devait plus en rencontrer, la caravane se remit en route, et commença sa marche dans le désert. C’est Une plaine monotone, parfois sablonneuse, parfois couverte d’un maigre gazon et d’un petit arbrisseau appelé épine de chameau, parce que c’est la seule nourriture dont ces animaux puissent se repaître dans ces lieux désolés. Les Arabes variaient la monotonie de la route par des courses à perte de vue et des simulacres de petite guerre ; ils sont en général bien montés et armés de lances faites en bambou léger, de huit pieds de long, terminées à la partie inférieure par une pointe qui sert à les planter dans le sol, à la partie supérieure par un fer au-dessous duquel flotte une touffe de plumes d’autruche noires ou blanches. Le danger le plus à redouter dans cette contrée, ce sont les attaques des Aniza, tribu importante qui parcourt le désert et pille les voyageurs ; aussi, pour éviter d’attirer leur attention, la caravane dut-elle s’abstenir le soir d’allumer du feu. La provision d’eau tirant à sa fin au bout du quatrième jour, il fallut faire un crochet pour trouver un marais dans lequel bêtes et gens se plongèrent avec délices ; mais le colonel fut pour ce motif, à son grand regret, forcé de renoncer à visiter les ruines de Palmyre, qui cependant étaient en vue. La caravane continua sa route, et le huitième jour atteignit un puits creusé au milieu du désert. C’était un ancien puits en pierres, très profond, qui fournit l’eau nécessaire pour remplir toutes les outres et abreuver les animaux de façon à leur permettre de continuer leur voyage. Le second estomac des chameaux peut, quand il est rempli, contenir de l’eau pour six jours, parfois même pour neuf. Guidée par le soleil, la caravane rejoignit bientôt une ancienne route qui allait de Palmyre au palais d’été de Zénobie, sur les bords de l’Euphrate. À partir de là, le paysage devient plus varié ; à l’ouest, on aperçoit les montagnes qui dominent Palmyre, à l’est une immense plaine parsemée de grands arbres qui faisaient de loin l’effet de collines coniques ; de temps à autre se montraient des mouettes volant vers la mer, ou bien des gazelles qui fuyaient effrayées. La végétation devenait plus abondante, un épais gazon tapissait le sol, et de nombreux arbustes couvraient la plaine.

Après quinze jours de marche, le colonel Chesney aperçut enfin des collines crayeuses, qu’on lui dit être sur la rive gauche de l’Euphrate, et bientôt après, prenant les devans, il arrivait à El-Werdi, sur les bords du fleuve tant désiré. Accompagné de son guide, il en suivit les bords, se dirigeant vers l’est pour se rendre à Annan, et rencontrant à tout instant des roues hydrauliques de cinquante pieds de diamètre, à la circonférence desquelles étaient adaptés des vases d’argile qui, à chaque tour de roue, se remplissaient d’eau et la déversaient dans des aqueducs construits sur la rive pour irriguer